Des élèves et des enseignants de plus en plus laissés à eux-mêmes

Ce texte fait partie du cahier spécial Rentrée scolaire
Les élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) subissent des contrecoups des compressions budgétaires successives dans les commissions scolaires. Ces réductions atteignent plus d’un milliard de dollars depuis 2010. Des acteurs du terrain témoignent.
« Plusieurs postes chez les professionnels ont été abolis et les heures de plusieurs autres diminuent, donc il faut changer les façons de faire. L’aspect préventif, les activités en classe contre la violence et l’intimidation par exemple, nous n’en faisons plus. Les éducatrices spécialisées, la direction, les enseignants nous envoient des élèves, mais nous ne faisons plus de préévaluations. C’est un problème. Nous voyons seulement les cas les plus urgents, les plus dysfonctionnels, comme les troubles anxieux sévères et les dépressions majeures. C’est rendu qu’il faut avoir des idées suicidaires pour avoir accès à un psychologue dans une école. »
Ce cri du coeur provient d’Anne Léonard, psychologue à la Commission scolaire des Patriotes. Elle aimerait bien pouvoir détecter ces cas avant qu’ils soient rendus si graves et faire des suivis plus poussés.
« Dans notre domaine, les changements prennent souvent du temps, mais, malheureusement, nous sommes obligés de laisser aller les jeunes dès qu’ils deviennent un peu plus fonctionnels, ajoute-t-elle. Le flot de demandes est trop grand. »
Dans sa commission scolaire, elle calcule que, cette année, ils seront 30 professionnels équivalents temps plein, contre 33 il y a deux ans.
« C’est presque 10 % de moins d’effectifs, et ceux qui restent le ressentent énormément, affirme Anne Léonard. Il y a aussi toute une réaffectation des services qui doit être faite dans les écoles. »
Personnel de soutien réduit
Le personnel de soutien vit aussi de nombreuses compressions, d’après Éric Pronovost, président de la Fédération du personnel de soutien scolaire (FPSS-CSQ).
« Nos membres se font couper beaucoup d’heures, notamment les techniciens en éducation spécialisée qui travaillent directement avec les élèves en difficulté, dit-il. Il y a énormément de précarité, nos membres ne savent pas d’année en année combien d’heures ils auront par semaine, si leur poste sera coupé, s’ils iront en ballottage, s’ils reviendront dans la même école, etc. Ils vivent beaucoup d’instabilité, et on ne les consulte jamais, alors que ce sont eux qui sont sur le terrain. »
Éric Pronovost s’inquiète particulièrement du fait qu’on ne donne plus le nombre d’heures de services nécessaires aux élèves.
Il se souvient l’an dernier du cas d’une éducatrice spécialisée en poste dans une classe pour travailler auprès d’un enfant avec des problèmes d’apprentissage. « Elle est tombée malade deux ou trois semaines et elle n’a pas été remplacée, raconte-t-il. L’enfant n’a donc pas eu de services, et les parents se sont retrouvés avec une tonne de messages indiquant que leur enfant ne fonctionnait pas bien. C’est évident, il n’avait pas les services dont il avait besoin. Puis, la qualité de l’enseignement en a souffert, donc tous les autres élèves de la classe aussi. »
Marie-Ève Dumouchel, enseignante de français en pré-DEP, une classe de préparation à la formation professionnelle pour des élèves en difficulté, vit au quotidien la réalité décrite par Éric Pronovost. Il y a deux ans, elle avait une technicienne en éducation spécialisée constamment dans sa classe pour l’aider avec sa clientèle de jeunes avec de grands besoins d’encadrement. L’année dernière, elle a dû partager sa technicienne avec une classe d’adaptation scolaire.
« Cette année, je n’y aurai plus accès, dit-elle. La technicienne était vraiment mon bras droit : elle aidait les jeunes à gérer leurs émotions, leurs relations interpersonnelles, leurs conflits, leur stress, leurs problèmes familiaux. Il y a quelques professionnels dans l’école, mais ils sont déjà surchargés. Nous serons toujours en gestion de crise. »
Marie-Ève Dumouchel, rattachée à la Commission scolaire de la Vallée-des-Tisserands, dénonce aussi les compressions dans la stratégie d’intervention du ministère de l’Éducation « Agir autrement », pour les milieux défavorisés.
« Ce programme nous donnait un service d’intervenant en toxicomanie et il a été supprimé l’an dernier, dit-elle. Cet intervenant accompagnait des jeunes vers la désintoxication, il nous aidait dans nos interventions, nous lui demandions des conseils régulièrement. Maintenant, nous n’avons plus vraiment de gens à qui renvoyer nos jeunes avec des problèmes de toxicomanie. La psychoéducatrice tente de leur trouver des services à l’extérieur de l’école, mais ce n’est pas évident. »
Moins de services, plus de besoins
En 2000, lorsque Anne Léonard a commencé à travailler dans sa commission scolaire, le ratio était d’environ un psychologue à temps plein pour 2000 élèves dans les classes ordinaires. La situation s’est améliorée vers 2005 pour atteindre un pour 1100.
« Puis, l’an dernier, on est remontés à un psychologue pour 1600 élèves au régulier alors que cette clientèle n’est plus du tout la même qu’avant, dit-elle. On y intègre maintenant énormément de jeunes avec des difficultés d’intégration, des troubles d’apprentissage, comme de la dyslexie et un déficit d’attention. »
Marie-Ève Dumouchel se sent de plus en plus isolée comme enseignante.
« On coupe tout ce qu’il y a autour de nous et on nous demande de faire plus, dit-elle. C’est difficile parce que, régulièrement, nous nous demandons comment intervenir. Les jeunes se retrouvent souvent en crise, donc mis à l’écart en attendant de pouvoir obtenir des services. Ce n’est pas constructif pour les jeunes parce que, dans ce genre de situations, l’attente n’est jamais une bonne chose. Ils réagissent, ils quittent l’école, etc. Si on intervient rapidement, bien des problèmes peuvent être réglés. »
« Les commissions scolaires se font demander par le gouvernement du Québec d’appliquer des compressions budgétaires, alors elles le font, mais des services aux élèves sont coupés, déplore Éric Pronovost. Pourquoi ne sortent-elles pas pour dénoncer le fait que la situation est inacceptable ? Il faut le dire ! »
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