La Chaire sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique voit le jour

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche
Le Québécois est un homo hivernus. Bien qu’il ne veuille pas toujours l’admettre en continuant de vivre « en attendant l’été », la nordicité fait partie de la culture d’ici. Le premier convaincu est Daniel Chartier, titulaire de la nouvelle Chaire sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique (INHA). « On se dit Nord-Américain de langue française ; ajoutons donc “ nordiques ”, parce que ça fait partie de nos comportements sociaux », plaide le professeur au Département d’études littéraires de l’UQAM. Déjà, quand on s’attarde aux habitudes culturelles des Québécois, on constate qu’elles sont liées d’une manière assez évidente au changement des saisons. « Consomme-t-on la culture de la même manière l’été et l’hiver ? Poser la question, c’est y répondre, dit-il. On n’a qu’à penser aux saisons de théâtre, de télé… L’automne, c’est le début de l’année pour à peu près tout le monde… »
Au-delà de cette consommation culturelle, le rapport au froid est souvent ce qui nous définit quand on entre en contact avec des étrangers. M. Chartier aime bien rappeler les propos de l’auteur Dany Laferrière se moquant du fait qu’un immigrant doit aimer l’hiver s’il veut s’intégrer.
« C’est profond dans la façon dont ça nous touche, dit celui qui voit même notre appartenance au Nord dans notre discours hivernophobe, à toujours chialer contre le froid. Ce qui m’intéresse aussi, c’est qu’il n’y a pas d’exclu dans cette définition de nous-mêmes ; qu’on soit autochtone, immigrant, québécois francophone, on se retrouve dans cette idée qu’on vit dans un pays froid. » Tous égaux devant l’hiver…
Officiellement lancée le 1er janvier, la Chaire vient en fait couronner et soutenir le travail du Laboratoire international d’étude multidisciplinaire comparée des représentations du Nord, fondée en 2003 par Daniel Chartier. Ce laboratoire n’a rien du lieu qu’on associe normalement aux sciences. Son équipement spécialisé, c’est une poignée d’ordinateurs et d’outils visant à identifier, à rassembler, à étudier et parfois à concevoir des oeuvres qui traitent du Nord dans le monde circumpolaire, pour réfléchir et comparer les représentations qui s’en dégagent.
Car le postulat de ce laboratoire — et que la Chaire vient entériner — est que la nordicité se définit davantage dans le croisement des discours pluriculturels des nations bordant les pôles que dans une approche strictement définie du point de vue territorial, géographique.
« Mon but a toujours été de comparer la culture québécoise à d’autres cultures en sortant des comparaisons traditionnelles. On se compare toujours à la française, à l’américaine ou à la canadienne, alors qu’on est une petite culture, plus froide, éloignée, isolée sur sa péninsule », souligne M. Chartier.
Qu’est-ce qui nous rapproche ou nous différencie, par exemple, de la Scandinavie ? « Si on a peu de liens historiques et culturels, on s’inspire de son modèle social », répond-il.
Il précisera que la culture danoise a inventé l’architecture de la lumière par l’usage de la fenêtre éclairée. Mais ce qui distingue la nordicité du Québec est sa lumière naturelle éblouissante, si particulière en hiver. « On a la lumière de la Provence parce que Montréal est à la hauteur de Marseille et on a le froid et la neige qui la reflètent », dit-il, contrairement aux longues nuits scandinaves ou aux jours gris de Paris.
En étudiant la culture québécoise, Daniel Chartier constate la récurrence constante des représentations du Nord depuis deux, voire trois siècles. Les exemples les plus connus sont sûrement le Carnaval de Québec, les paysages d’hiver de Jean-Paul Lemieux, les chansons de Gilles Vigneault (« Mon pays… c’est l’hiver »). « Même aujourd’hui, d’autres oeuvres les reprennent [ces représentations], c’est donc quelque chose de constitutif de notre identité. » Il cite le festival Montréal en lumière, le concours Luminothérapie, l’Igloofest.
La petite équipe québécoise du laboratoire — à laquelle sont aussi associés une douzaine d’autres chercheurs d’universités de la Scandinavie, de la France, de l’Allemagne et d’ailleurs — a déjà constitué une imposante base de données réunissant une banque d’images, de citations et quelque 30 000 oeuvres littéraires, cinématographiques, visuelles ou tirées de la culture populaire. La recherche peut se décliner en fonction de 300 critères, qui incluent autant la nationalité de son auteur-e que des éléments caractéristiques de l’imaginaire nordique qu’a identifiés l’équipe : le froid, la neige, bien sûr, mais aussi la souffrance, l’absolu, l’alcool, la solitude, la beauté de la nature… Un bon tiers de ces oeuvres viennent de l’extérieur du Québec.
« Une des motivations profondes d’étudier ça, c’est d’arriver à une “ écologie du réel ” [expression qu’il emprunte à Pierre Nepveu], d’avoir des modes de pensée qui correspondent à là où on vit. » Cesser de penser son pays en fonction de l’été est évidemment la première étape d’une nordicité bien vécue…
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