Le monde, oui, mais pas à n’importe quel prix!

Ce texte fait partie du cahier spécial Éducation - Portes ouvertes sur le monde
Partage du savoir ou… vente du savoir ? La Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ) craint que l’internationalisation de l’éducation, phénomène mondial de l’heure, ne se fasse sous le principe de la marchandisation, au détriment de l’échange des connaissances. Oui à l’idée de brancher nos universités sur le monde, mais à pas n’importe quel prix, dit-on chez ce regroupement d’une centaine de syndicats qui représente quelque 30 000 professeurs dans des universités, cégeps et collèges privés.
La propriété intellectuelle, les conditions de travail, la qualité de l’enseignement, la diversité des programmes : voilà bien des questions touchées par l’internationalisation des universités. Selon Sylvain Marois, vice-président de la FNEEQ, cette ouverture sera néfaste si on la prend comme une solution aux problèmes financiers des établissements d’enseignement.
À son avis, le rapport Tremblay-Roy sur le financement des universités, dévoilé en décembre 2014 par le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science, Yves Bolduc, fait fausse route en prônant une hausse des droits de scolarité des étudiants étrangers. Il estime que cette mesure viendra mettre fin aux investissements de l’État et ouvre la porte à une compétition féroce.
« Les étudiants étrangers deviendront une source de financement, dit-il. [Les universités] s’en foutront de les éduquer. Ce qu’elles voudront, c’est les attirer chez elles. C’est du clientélisme appliqué », accuse-t-il.
La concurrence sera inégale entre les grosses universités de Montréal et de Québec et les établissements régionaux. Les premières n’hésiteront pas, croit Sylvain Marois, à investir dans le marketing et à dépenser des millions de dollars pour aller en Chine.
« L’internationalisation des universités [deviendra] une marchandisation du savoir. On ne voudra plus partager les connaissances, mais profiter de la vente du savoir, estime cet ancien prof de théâtre, pour qui la libre circulation du savoir est primordiale. Le savoir, c’est un bien public, un bien commun. Il n’appartient à personne, mais à tout le monde », clame-t-il.
Avec « des organisations axées sur leur survie financière », le syndicaliste se montre pessimiste quant à la diversité des programmes d’études. Déjà, les facultés en sciences humaines écopent avec les actuelles compressions du gouvernement. Ça ne s’améliorera pas avec la « course au financement » vers l’étranger.
« Je ne veux pas généraliser, mais les étudiants étrangers ne viennent pas étudier la littérature québécoise. Il y a une concentration forte en économie, en administration. Plus les gens en demanderont, plus on leur offrira la même chose. Ce sera au détriment des études anciennes, du théâtre, de la philo. »
À qui appartient un cours ?
L’internationalisation des universités, qui se traduit aussi par une dématérialisation de l’enseignement et la multiplication des cours en ligne, améliore, d’un certain point de vue, l’accessibilité du savoir. Mais, pour Sylvain Marois, il est faux de croire que tout cela n’a que du bon. L’enseignement s’anglicise ; c’est un recul pour la diversité culturelle. Dans certains pays, la connexion Internet n’est pas toujours fiable et abordable. « Parfois, ce sont des chaises dont on a d’abord besoin », rappelle-t-il.
Pour celui qui représente la plupart des chargés de cours universitaires du Québec — excepté ceux de Sherbrooke et de Trois-Rivières — la propriété intellectuelle demeure l’enjeu crucial.
« Un chargé de cours est payé pour produire un cours, mais, une fois que celui-ci est en ligne, à qui appartiennent les droits ?, demande-t-il. Une université peut s’enrichir massivement sans avoir à bonifier le salaire de l’auteur du contenu. Les nouvelles technologies permettent cette diffusion quasi sans fin. Sur la question de la propriété intellectuelle, il faut faire toute une réflexion et intégrer cette nouvelle réalité dans les conventions collectives. »
Et il n’y a pas seulement ce point que l’internationalisation des universités modifie dans les relations de travail.
« Sur la formation en ligne, à distance, quelles sont les balises syndicales, l’horaire de travail de l’enseignant ? Il n’y a rien là-dessus. Nos conventions sont très maigres sur ça », reconnaît le porte-parole de la FNEEQ.
Sylvain Marois affirme ne pas être contre l’abolition des frontières. Il ne veut que plaider pour une surveillance accrue de cette nouvelle réalité, pour éviter qu’elle ne dévie et ne nuise, au bout du compte, à la qualité de l’enseignement.
D’ici le mois de mai et son congrès général, où seront présentées les réflexions de ses leaders, la FNEEQ s’est donné un énoncé de principe : « L’internationalisation de l’éducation devrait tendre vers la coopération et vers les échanges scientifiques et culturels, et éviter le piège de la marchandisation et de la concurrence. »
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