Comment franchir la fracture numérique?

Etienne Plamondon Emond Collaboration spéciale
Louise Saint-Jacques
Photo: Olivier Samson Arcand Louise Saint-Jacques

Ce texte fait partie du cahier spécial Alphabétisation 2014

Internet et les nouvelles technologies se révèlent aujourd’hui presque incontournables pour avoir accès à des services ou s’épanouir en société. Un aperçu des besoins des personnes aux prises avec de faibles compétences informatiques et des moyens pour favoriser leur inclusion.

Le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) est la première enquête internationale à s’être attardée aux compétences associées à la résolution de problèmes dans un cadre technologique. Il serait donc hâtif d’interpréter ses résultats. En revanche, une des rares données simples à décrypter est plutôt préoccupante : sur une échelle de 1 à 4, 18 % des Québécois et 15 % des Canadiens n’ont même pas atteint le niveau 1, alors que c’est le cas d’environ 12 % des personnes dans l’ensemble des pays de l’OCDE. « Ce sont des gens qui n’avaient pas les capacités de faire ce test ou qui ont estimé ne pas les avoir pour le faire », explique Geneviève Dorais-Beauregard, directrice générale du Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF).

 

Sur le terrain, la demande de formation est réelle. Il n’y a pas si longtemps, les cours d’informatique donnés par des organismes communautaires étaient perçus comme une porte d’entrée moins stigmatisante vers les cours d’alphabétisation. Mais, aujourd’hui, « la pression sur l’emploi est plus forte », juge Louise Saint-Jacques. La directrice de La Puce, un centre multiservice de ressources en informatique répondant aux demandes des particuliers et des organisations communautaires, indique que la recherche d’emploi et la technologie dans les milieux de travail sont désormais les principales raisons pour lesquelles on sollicite son aide.

 

De plus, l’accès des citoyens à des services gouvernementaux passe de plus en plus par le Web. À Service Canada et dans les Centres locaux d’emploi, par exemple, les rencontres avec un agent sont graduellement abolies. Les citoyens sont désormais dirigés vers un site Internet ou un « visioguichet » pour remplir des formulaires qui se révèlent parfois difficiles à comprendre, même pour des personnes parfaitement alphabétisées, note Mme Saint-Jacques.

 

La Puce, comme d’autres organismes communautaires, doit donc aujourd’hui les épauler dans cette démarche. Mais les limites financières restreignent son intervention. « On ne travaille pas nécessairement sur l’ensemble des besoins [informatiques] du citoyen. On va vers celui qui est considéré comme le plus urgent. »

 

En 2011, le Conseil du Trésor a adopté des normes gouvernementales d’accessibilité au Web, qui s’appliquent à tous les ministères et organismes visés par la Loi sur l’administration publique. Ces normes exigent que les sites Web, les documents téléchargeables et les présentations multimédias soient accessibles aux personnes aux prises avec un handicap, mais aussi aux personnes vieillissantes, analphabètes ou peu à l’aise avec les technologies. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Une simple navigation sur les différentes pages concernées permet de constater que les sites ne sont pas tous aussi avancés dans leur application de la norme et dans la simplification de leur accès. « Il y a des sites qui se complexifient aussi », ajoute Mme Saint-Jacques. Un bilan de la mise en oeuvre de ces normes dans l’ensemble de la communauté gouvernementale n’est pas prévu avant mai 2016.

 

Déjà dans le rapport Citoyen branché, déposé auprès du gouvernement du Québec en 2012, La Puce et quatre autres organismes soulignaient la nécessité d’augmenter le nombre d’heures de formation. Le Parti québécois avait promis de « lancer un vaste chantier d’alphabétisation, incluant l’analphabétisme numérique ». Mais, depuis l’élection du gouvernement Couillard, ce dossier semble sur la glace, indique Mme Saint-Jacques.

 

Le Fab Lab: l’avenir de l’inclusion numérique?

 

Monique Chartrand, directrice générale de Communautique, se montre tranchante au sujet de notre rapport aux technologies de l’information et des communications (TIC). « 99,9 % des gens subissent la fracture numérique, parce que, ultimement, on ne décide pas de ce qu’on a comme technologie », dit-elle.

 

L’organisme communautaire, dont la mission est de soutenir la participation citoyenne en favorisant l’appropriation des TIC, a d’ailleurs rectifié ses façons de faire à l’aune de l’évolution fulgurante, éclatée et tous azimuts des nouvelles technologies. Mme Chartrand croit que l’approche misant sur l’enseignement de logiciels de base ne tient plus tellement la route. « On force les gens à développer des compétences avec des applications qui changent tout le temps. On ne peut pas se tenir à jour », souligne-t-elle.

 

Communautique expérimente désormais des méthodes à l’aide desquelles « les citoyens pourraient carrément contribuer au développement de la technologie ». Fortement inspirée par le CitiLab de Barcelone, Communautique a mis sur pied son propre Fab Lab, soit un lieu ouvert de cocréation technologique.« Un Fab Lab, c’est un puissant laboratoire d’inclusion sociale. Ici, les barrières de compétences disparaissent », assure Mme Chartrand, au sujet de ces espaces de collaboration.

 

L’approche part du besoin du citoyen, de ses idées, de ses projets. « Le mode laboratoire permet de développer des usages inédits, une prise de pouvoir », ajoute Mme Chartrand, qui déplore, à plus large échelle, l’absence de politique numérique ou de vision de la part des gouvernements dans ce domaine.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

À voir en vidéo