Prendre le Train des mots pour avancer dans la vie

Assïa Kettani Collaboration spéciale
Le Train des mots permet à des adultes d’apprendre à lire et à écrire. Son objectif est de s’implanter dans toute la MRC de Memphrémagog.
Photo: Télé-Québec Le Train des mots permet à des adultes d’apprendre à lire et à écrire. Son objectif est de s’implanter dans toute la MRC de Memphrémagog.

Ce texte fait partie du cahier spécial Alphabétisation 2014

C’est l’histoire d’un train pas comme les autres dans la MRC de Memphrémagog où le Train des mots propose aux adultes analphabètes un parcours vers la lecture et l’écriture, sans même quitter leur village.

« Apprendre à lire est un voyage à la découverte du monde et de soi-même », explique Michèle Gaudreau, fondatrice de l’organisme. Car, insiste-t-elle, ceux qui se trouvent dans l’ombre de la lecture sont coincés, incapables d’avancer. « Léon est venu chez nous, car son patron lui proposait une promotion, qu’il ne pouvait accepter tant qu’il ne savait pas lire. Sans compétences en lecture, il ne pouvait pas rédiger un rapport très simple et occuper un emploi de superviseur. »

Les besoins sont parfois plus fondamentaux, notamment lorsqu’on peut à peine se déplacer, par crainte de se perdre, ne sachant lire ni l’heure, ni un panneau. « Mireille vivait dans un état de dépendance complète de son mari. Elle n’allait nulle part sans lui, car elle n’avait aucune notion de distance, de temps et d’espace. Elle était complètement isolée et sortait à peine de chez elle. »

L’idée du projet est née de la lecture d’une entrevue de Maryse Perrault, anciennement directrice de la Fondation pour l’alphabétisation, dans les pages d’un cahier Alphabétisation du Devoir. Elle y faisait état de statistiques « effarantes, sinon incompréhensibles », rappelle Michèle Gaudreau. Et pour cause : les derniers résultats de l’Enquête sur la littératie et les compétences des adultes publiés en 2011 par l’OCDE montrent qu’au moins un adulte québécois sur cinq a des problèmes de lecture. Au Québec, 33 % des adultes qui occupent un emploi rémunéré ont du mal à lire. Ces chiffres ont provoqué un virage pour Mme Gaudreau, qui a plaqué sa carrière de traductrice, et le départ du Train des mots. À l’automne 2010, elle a demandé l’appui des maires des six villages situés dans la partie ouest de la MRC de Memphrémagog : Austin, Bolton-Est, Eastman, Canton de Potton, Saint-Étienne-de-Bolton et Stukely-Sud. « Ils étaient aussi incrédules que moi face aux statistiques », rappelle-t-elle, et ils ont tout de suite soutenu le projet. Depuis, le Train des mots oeuvre dans ces six villages, auxquels s’est joint Magog.

Quant à savoir comment nommer ceux qui montent à bord, Michèle Gaudreau a longtemps hésité. Des élèves ? Ils ne sont plus à l’école. Des clients ? C’est gratuit ! Des bénéficiaires ? Ça fait penser à l’aide sociale… Ce seront donc des voyageurs, terme qui a l’avantage de ne porter aucun jugement de valeur. « On se donne une destination, un objectif, et le guide est là pour aider à y parvenir. »

Qui sont les guides ? Pour la plupart, ce sont des retraités de la région, souvent d’anciens enseignants, tous bénévoles bien sûr. Et, visiblement, le désir d’aider n’est pas rare. « Je ne fais rien pour les recruter depuis presque deux ans. » Pour les outiller, ils sont encadrés par des formateurs spécialisés, car « ce n’est pas parce qu’on a enseigné dans une classe toute sa vie qu’on sait enseigner à des adultes », poursuit-elle.

Pour recruter des voyageurs, le lien à établir est très différent d’une simple inscription. « Nous travaillons en étroite collaboration avec les commissions scolaires, les travailleurs sociaux et les organismes communautaires. Ils sont en relation avec eux et ont déjà un lien de confiance. » En marge des centres de formation des adultes et des commissions scolaires qui donnent déjà des cours d’alphabétisation, le Train des mots offre « quelque chose à ceux qui n’ont pas les aptitudes ou la confiance nécessaires pour faire partie d’une classe », ce qui est parfois associé à de bien mauvais souvenirs.

« On sait qu’on va chercher une clientèle farouche. » Certains ont honte de leur état, « comme si c’était leur faute. Quand j’ai compris cela, j’ai adapté ma stratégie. Quand je les rencontre, j’apporte ma petite chienne, qui m’aide à faire tomber la timidité et à délier les langues », explique Michèle Gaudreau.

Pour défier la honte, la première carte à jouer est celle de la proximité, pour que les voyageurs n’aient pas besoin de quitter leur environnement immédiat. « Chaque village a créé sa petite équipe de guides. » Autre atout de taille : la discrétion. Bégayer en lisant un livre d’enfant en pleine bibliothèque municipale alors qu’on a 50 ans ? « Certains ne sont pas gênés d’aller à la bibliothèque, mais ce n’est pas le cas de tous. Nos guides disposent de locaux pour donner leurs cours. »

Ensuite, il s’agit de cours privés gratuits, ce qui permet de démarrer exactement où il faut et d’aller à la bonne vitesse. « Le tutorat permet de s’adapter à leur rythme et de tout diriger vers leurs besoins, même si ces besoins changent avec le temps. Autrement, ils risquent de lâcher. C’est la raison pour laquelle nous avons un si bon taux de rétention des voyageurs, et autant de plaisir. » Ainsi, « quand Claire est arrivée, elle voulait pouvoir faire une recette de cuisine. Notre premier travail a donc été de faire un renversé aux fraises. »

Depuis sa création, le Train a aidé 18 participants et trois voyageurs l’ont quitté, ayant atteint leur objectif : intégrer la formation des adultes, qui exige un niveau présecondaire. « Ce sont nos diplômés », lance-t-elle. Mais, au-delà de la lecture, c’est la personne qui grandit. « On voit les apprentis lecteurs se transformer, prendre de l’assurance. Ils se coiffent mieux, nous regardent dans les yeux, enlèvent la casquette qu’ils avaient enfoncée sur la tête. » Pour encourager les efforts, l’équipe organise une petite fête après les 50 premières leçons, avec à la clé un certificat du Train des mots. « On n’a pas idée de ce que ça leur fait. Ce sont de tout petits progrès. Mais, pour eux, être capable de lire un titre de journal, ça change tout. »

Quant à savoir où s’arrêtera le train, Michèle Gaudreau affirme qu’il est loin d’être arrivé à son terminus. « Notre objectif est de couvrir toute la MRC de Memphrémagog. Nous avons sept municipalités ; il nous en reste huit autres. » Au-delà, elle rêve de voir un tel projet s’étendre à l’ensemble du Québec. « Que, dans notre société, tous ceux qui savent lire et qui veulent aider puissent le faire. Et que tous ceux qui veulent apprendre à lire puissent le faire aussi. » Il y en a suffisamment sur les deux quais, il suffit qu’ils prennent le train ensemble.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

Alphabétisation et développement durable

« L’alphabétisation est l’un des principaux éléments nécessaires pour promouvoir le développement durable, car elle donne aux individus les moyens de prendre les bonnes décisions dans le domaine de la croissance économique, du développement social et de l’intégration environnementale. L’alphabétisation est à la base de l’apprentissage tout au long de la vie, et elle joue un rôle fondamental dans la création de sociétés durables, prospères et pacifiques.»

Extrait de la page consacrée à la Journée internationale de l’alphabétisation, le 8 septembre 2014, placée sous le thème du développement durable, dans le site Internet de l'Unesco.

« On n’a pas idée de ce que ça leur fait. Ce sont de tout petits progrès. Mais, pour eux, être capable de lire un titre de journal, ça change tout. »



À voir en vidéo