La situation ne s’est guère améliorée en dix ans

Etienne Plamondon Emond Collaboration spéciale
La professeure au Département d’éducation et de formation spécialisée de l’UQAM, Chantal Ouellet, pense que les troubles d’apprentissage de la lecture doivent être repérés le plus tôt possible.
Photo: Émilie Tournevache La professeure au Département d’éducation et de formation spécialisée de l’UQAM, Chantal Ouellet, pense que les troubles d’apprentissage de la lecture doivent être repérés le plus tôt possible.

Ce texte fait partie du cahier spécial Alphabétisation 2014

Les tendances lourdes de l’analphabétisme se poursuivent, si on se fie aux premiers résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), dévoilés en octobre dernier. Les chiffres de cette vaste enquête internationale sur les compétences en littératie et numératie montrent que la situation ne s’est pas améliorée au Québec depuis dix ans.

Il faudra des années avant de bien analyser et tirer toutes les conclusions de la masse de données fournies par le PEICA. Cette troisième grande enquête internationale sur les compétences des adultes, pilotée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a interrogé plus de 166 000 adultes âgés de 16 à 65 ans dans une vingtaine de pays. Environ 27 000 Canadiens et 6000 Québécois ont participé à cette étude. Si le Canada se classe toujours dans la moyenne des pays de l’OCDE et le Québec légèrement en dessous, la situation ne semble pas s’améliorer.

« Il y a une enquête environ tous les 10 ans. Après trois enquêtes, on constate que ça ne bouge pas beaucoup », se désole Caroline Meunier, responsable du développement d’analyses et de stratégies au Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ).

Règle générale, les résultats publiés par Statistique Canada, qui a mené l’enquête ici, ne suscitent pas de surprises, à l’exception des scores moyens selon l’âge. Contrairement aux résultats de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes (EIACA), réalisée en 2003, la tranche des 16-24 ans n’affiche plus la meilleure performance. Elle est désormais dépassée par celle des 25-34 ans en littératie et en numératie, voire par les 35-44 ans en littératie. « C’est mauvais signe », lâche Chantal Ouellet, professeure au Département d’éducation et de formation spécialisée de l’UQAM.

« On se serait tous attendu à ce que ceux qui sortent tout juste de l’école aient des scores plus hauts », s’étonne aussi Geneviève Dorais-Beauregard, directrice générale du Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF). Les causes de ce changement demeurent pour l’instant un mystère. Mais Caroline Meunier note que « ce n’est pas une tendance qui est unique au Québec ».

Statistiques

 

Les pourcentages de la population associés aux différents niveaux de compétence, basés sur une échelle de 1 à 5, restent relativement similaires. Lors de l’enquête internationale de 2003, l’OCDE avait déterminé le niveau 3 comme le seuil minimal pour faire face aux exigences de l’économie et de la société du savoir. C’est ainsi que s’est répandue l’affirmation selon laquelle 49 % des Québécois, soit la proportion de la population n’atteignant pas le niveau 3, étaient analphabètes. Si on conservait cette grille de lecture, les résultats du PEICA seraient encore plus sombres, puisque 53 % des Québécois n’ont pas atteint le niveau 3 cette fois-ci.

Mais l’OCDE a éliminé ce seuil avec le PEICA pour analyser le tout comme un « continuum de compétences ». En d’autres mots, « il n’y a pas de précipice » entre le niveau 2 et le niveau 3, explique Mme Meunier. Cette dernière admet que, en plus de susciter le scepticisme, cette statistique occultait les vrais problèmes.

Selon elle, la situation est beaucoup plus alarmante pour les gens classés sous le niveau 2, dont les problèmes de compréhension de lecture ont des répercussions au quotidien. Quelque 19 % des Québécois sont classés dans les niveaux 1 et inférieur à 1. « On parle de gens qui ne savent pas lire une posologie ou un manuel d’instructions, précise Mme Dorais-Beauregard. Qu’il y en ait une personne sur cinq, c’est bien plus inquiétant que le fait que la moitié des gens n’atteignent pas le niveau 3. »

Malgré tout, Chantal Ouellet considère qu’il faut aujourd’hui tendre vers le niveau 3. « À l’ère du numérique, la fréquence à laquelle on est appelé à lire s’est accélérée », explique-t-elle.

D’ailleurs, si le pourcentage des gens classés sous le niveau 2 a augmenté au Québec, Mme Dorais-Beauregard nuance que ce n’est pas nécessairement dû à une perte de compétences, mais plutôt à une société qui en exige plus. La dernière enquête s’est adaptée aux besoins de lecture d’aujourd’hui et les évaluations s’avéraient plus complexes. De plus, certains ont répondu au test à l’aide d’un ordinateur, « ce qui implique des compétences de lecture différentes », soulève Mme Ouellet.

« Dans l’absolu, ce n’est pas normal qu’il y ait encore autant de personnes qui se retrouvent dans les niveaux inférieurs si vraiment on prend à coeur l’éducation des adultes », ajoute Mme Dorais-Beauregard. En numératie, les résultats ne se révèlent pas plus reluisants. Environ 23 % des Canadiens et 22 % des Québécois se retrouvent sous le niveau 2 dans ce volet de l’étude.

Formation

 

Au-delà des chiffres, l’OCDE a émis, dans son rapport sur le PEICA, une importante mise en garde auprès de six pays, dont le Canada, au sujet de la formation. Elle souligne qu’ici les individus possédant de bonnes compétences sont plus sujets à avoir accès à la formation continue, tandis que les adultes peu compétents « risquent de se voir piégés dans une situation où ils ne peuvent que rarement bénéficier de formations ». Ainsi, les compétences de ces derniers se détériorent avec le temps. « Cette situation constitue un enjeu politique d’envergure » pour ces six pays, dont le Canada, « où une proportion significative des adultes se situent à un niveau inférieur ou égal à 1 sur les échelles de compétences en littératie et en numératie », selon le rapport de l’OCDE. Ce document vante plutôt le Danemark, la Finlande, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède, dont les programmes, les politiques et les subventions ciblés ont permis d’augmenter la participation des adultes à faible littératie et faible numératie à des formations spécifiques.

Caroline Meunier espère que le PEICA va éclairer les décisions prises par les gouvernements et les inciter à s’inspirer des bonnes pratiques éprouvées ailleurs dans le monde. « Malheureusement, ce n’est toujours pas une priorité et il y a même un désengagement », constate-t-elle. À Québec, une nouvelle Politique gouvernementale d’éducation des adultes se fait toujours attendre.

Chantal Ouellet croit, quant à elle, qu’il faut un plan d’action pour sensibiliser la population, tant dans les milieux de travail que dans les milieux scolaires. « Il faut détecter le plus vite possible les troubles d’apprentissage de la lecture, indique-t-elle. Il existe énormément de recherches sur les façons de mieux intervenir à l’école pour améliorer la maîtrise de la lecture, mais il y a encore un grand écart entre ce qui est connu grâce à la recherche et ce qui est fait dans les milieux scolaires. C’est dommage. »

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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