Plaidoyer pour un système d’éducation plus juste

Gabriel Nadeau-Dubois a rassemblé dans un ouvrage collectif plusieurs intellectuels qui réfléchissent aux ambitions sociales que soutient le projet éducatif.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Gabriel Nadeau-Dubois a rassemblé dans un ouvrage collectif plusieurs intellectuels qui réfléchissent aux ambitions sociales que soutient le projet éducatif.

L’oublie-t-on? Tout commence par l’éducation. Y compris une comparution de Tony Accurso qui déclinait mardi, pour amorcer sa comparution devant la commission Charbonneau, son parcours scolaire… Mais quel est celui de toute une nation ? Gabriel Nadeau-Dubois et 17 collaborateurs, dont Lise Payette, Yvon Rivard, Eric Martin, Micheline Lanctôt et Francine Pelletier, se le demandent dans un livre intitulé Libres d’apprendre, une suite de « plaidoyers pour la gratuité scolaire » publiée aux éditions Écosociété cette semaine.

 

Depuis la Révolution tranquille, amorcée avec l’arrivée des libéraux de Jean Lesage en juin 1960, l’éducation est devenue plus accessible pour tous. Le travail n’a pas été achevé pour autant, plaide Gabriel Nadeau-Dubois. En entrevue, l’ancien leader étudiant insiste : un examen sérieux s’impose au sujet de l’éducation au Québec.

 

« Il y a une tension à explorer entre la défense d’un héritage, celui d’une démocratisation de l’éducation amorcée dans les années 1960, et le renouvellement de tout cela à la lumière de ce que nous sommes aujourd’hui. Qu’est-ce qui est à garder, qu’est-ce qui est à remettre au goût du jour ? » Le manque aujourd’hui de perspectives offertes à la réflexion publique sur un sujet aussi brûlant lui apparaît flagrant.

 

En 1963, la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, connue sous le nom de commission Parent, dresse un portrait et apporte des éléments de solution pour l’éducation chez nous. « Il y avait déjà dans le rapport Parent des aspects de la marchandisation de l’éducation qui a pris le dessus aujourd’hui. Mais c’était un compromis. C’était une partie seulement du projet éducatif. Aujourd’hui, elle a fini par prendre le dessus. La marchandisation est devenue un discours dominant au point où l’aile jeunesse du parti au pouvoir peut dire sans honte qu’il faut abolir les cégeps et remplacer tout ça par des écoles techniques ! Ce genre de propos témoigne d’un appauvrissement terrible de notre conception de l’éducation. »

 

La solution passe-t-elle par une plus grande accessibilité aux études que permettrait la gratuité ? Gabriel Nadeau-Dubois, pas plus que les collaborateurs de Libres d’apprendre, ne croit en des solutions toutes faites. Mais pour que la qualité et l’accessibilité de l’éducation soient assurées, il faut à son sens un effort collectif important, d’autant que l’avenir d’une société en dépend plus que jamais.

 

Chiffres et technocratie

 

Au moment où je lui demande ce qu’Yves Bolduc, le ministre de l’Éducation actuel, sera à même d’apporter à ce débat majeur et urgent, la ligne téléphonique coupe et mes mots se perdent dès lors dans le néant. Lorsque la communication est enfin rétablie, Gabriel Nadeau-Dubois poursuit sur sa lancée initiale, comme si le vide téléphonique d’un instant devait tenir lieu de réponse éternelle à l’égard du ministre : « Il est inquiétant de voir l’enjeu véritable que pose l’éducation disparaître des conversations. Lorsqu’on en parle — ce qui devient rare —, c’est toujours pour évoquer des chiffres, des mesures technocratiques, comme les tableaux intelligents, ou quand on est chanceux, des questions de pédagogie. Il n’y a pas de discours de fond sur les espoirs que l’on est en droit d’avoir comme société à l’égard de l’éducation. »

 

Est-ce parce que les trois principaux partis politiques, le PLQ, la CAQ et le PQ, partagent une idée commune que tout tourne désormais autour de lieux communs ? « Il est évident que les trois partis dominants partagent le même projet à l’égard de l’éducation. Les assaisonnements varient de l’un à l’autre. Il y a un peu plus d’épices nationalistes au PQ, un peu plus d’utilitarisme au PLQ… Mais au fond, c’est la même recette. On débat des moyens, mais jamais des finalités. C’était particulièrement évident à la suite du sommet sur l’éducation du Parti québécois. Après le sommet, je me suis dit qu’il fallait écrire là-dessus. Ce livre est né à ce moment. »

 

Le carcan

 

Gabriel Nadeau-Dubois a donc rassemblé dans un ouvrage collectif plusieurs intellectuels québécois qui réfléchissent aux ambitions sociales que soutient le projet éducatif. On y parle même de la place des autochtones dans le système d’enseignement. « Il faut essayer d’inclure. La question autochtone et l’égalité des sexes, il faut en parler pour changer la société. Comment faire pour dialoguer ? Il y a des injustices historiques que nous devons réparer. »

 

Libres d’apprendre est complété par la transcription d’un entretien qu’il a eu avec l’intellectuel américain Noam Chomsky, 86 ans, tenu aujourd’hui comme une figure intellectuelle majeure. À la question de savoir pourquoi une société continue d’imposer des frais individuels à la diffusion d’un savoir collectif, Noam Chomsky répond ceci : « Les frais de scolarité élevés constituent en fait une technique subtile mais particulièrement efficace d’endoctrinement et de contrôle. Cela est bien sûr nuisible à l’individu, mais cela est tout aussi nocif pour la société. Si nous désirons vraiment construire une société florissante, il faudra la baser sur ce que les économistes appellent, de manière très réductrice, le “ capital humain ”, c’est-à-dire la capacité des individus à innover librement, à créer, à être réellement indépendants, imaginatifs, etc. Ce sont précisément ces formes d’émancipation et de créativité qui sont entravées dans leur développement par le carcan de l’endettement étudiant. »

 

Dans sa préface livrée sous forme de vers, le conteur-chanteur Fred Pellerin cite d’abord un des célèbres aphorismes d’Oscar Wilde : « Le cynisme, c’est de connaître le prix de tout, et la valeur de rien. » Et ce nouveau Gilles Vigneault de conclure à sa manière bien à lui que « même si on ne sait plus par quel bout s’y prendre », il n’en reste pas moins qu’il faut « rappeler que chacun a le droit de savoir ».

 

La solution pour l’éducation au Québec passe-t-elle par une plus grande accessibilité aux études que permettrait la gratuité?

De nouvelles munitions pour les associations étudiantes

Les trois principales associations étudiantes, la FEUQ, la FECQ et l’ASSÉ, se réjouissent des résultats de recherche du groupe de chercheurs dirigés par Pierre Doray et divulgués mardi dans Le Devoir. Cette nouvelle étude, qui conclut que des droits de scolarité élevés réduisent l’accès à l’université, leur donne de nouvelles munitions. Même si le gouvernement Couillard maintient que les droits de scolarité seront indexés chaque année pendant son mandat, la FEUQ et la FECQ soutiennent qu’il serait préférable de geler les droits pour s’assurer que l’éducation demeure accessible à tous. Elles craignent qu’à plus ou moins long terme, les étudiants de milieu modeste n’aient plus accès aux études supérieures alors que les droits augmentent d’année en année. L’ASSÉ y voit aussi une importante barrière et défend encore l’idée de la gratuité scolaire. L’attachée de presse du ministre de l’Éducation Yves Bolduc a indiqué qu’il prendra le temps d’analyser l’étude avant de faire des commentaires. Mélanie Loisel

Libres d’apprendre

Plaidoyers pour la gratuité scolaire Gabriel Nadeau-Dubois et 17 collaborateurs Préface de Fred Pellerin Éditions écosociété Montréal, 2014, 199 pages



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