Usito se veut le dictionnaire d’ici

Marie-Hélène Alarie Collaboration spéciale
«Quand on parle d’ouverture et d’enrichissement, on parle de plus de 10 000 mots québécois comme polyvalente, cégep, aluminerie», dit Hélène Cajolet-Laganière.
Photo: - Le Devoir «Quand on parle d’ouverture et d’enrichissement, on parle de plus de 10 000 mots québécois comme polyvalente, cégep, aluminerie», dit Hélène Cajolet-Laganière.

Ce texte fait partie du cahier spécial ACFAS 2014

Où s’en va notre langue ? Si l’on se pose parfois cette question un peu à la blague, d’autres, comme Hélène Cajolet-Laganière, y répondent le plus sérieusement du monde !

Hélène Cajolet-Laganière est linguiste et professeure à l’Université de Sherbrooke. Elle et son équipe travaillent depuis plusieurs années sur le projet Franqus, qui était en fait une première édition du dictionnaire Usito intitulée Dictionnaire de la langue française, le Français vu du Québec. Depuis 2009, une version pilote de ce dictionnaire était disponible en ligne, et ce jusqu’en avril 2013, soit au moment du lancement d’Usito.

 

Plutôt que de défendre la langue française dans sa version traditionnelle, Hélène Cajolet-Laganière, qui a assuré la direction éditoriale d’Usito, a choisi de s’engager dans le changement et la variété : « La qualité première d’Usito c’est son unicité, c’est la présentation du français avec une grande ouverture : le traitement de la variation géographique et culturelle, qui est basé essentiellement sur des corpus et des bases de données textuelles, la féminisation des titres de fonction, le traitement des modifications orthographiques, le traitement des anglicismes, la théorie grammaticale, certains éléments de prononciation, le système de marques d’usage, autrement dit tous les éléments présentés dans le dictionnaire. »

 

Les deux grandes qualités d’un dictionnaire général sont l’utilité et l’identité : « Les dictionnaires que nous avons présentement à notre disposition, comme le Robert et le Larousse, ont été écrits par et pour des Français : les mots qu’ils présentent et le monde auquel renvoient ces mots-là et les référents culturels auxquels renvoient les citations sont faits pour un contexte européen. On a pris l’ensemble de cette description du français et on a aménagé le dictionnaire pour y intégrer un ancrage québécois, canadien et nord-américain », précise Mme Cajolet-Laganière. Usito devient ainsi le seul dictionnaire du français qui ouvre un aussi large espace à notre réalité.

 

Un guide pour le Québec

 

Un dictionnaire demeure LA référence d’une langue, et Usito a été conçu de façon à pouvoir servir ici, au Québec, de guide linguistique et normatif. Depuis 1990, plusieurs mots de la langue française ont été touchés par une rectification orthographique, et la nouvelle orthographe passe doucement et lentement dans l’usage, mais peine parfois à y arriver complètement.

 

Usito a voulu marquer cette tendance en tenant compte du degré actuel d’implantation. Ainsi le mot dîner, qu’on peut dorénavant écrire sans accent, figurera en entrée sous son ancienne orthographe avec une note où l’on mentionne en remarque la rectification. À l’inverse, les mots à la nouvelle orthographe bien établie, comme chaine — sans accent —, seront présentés en entrée avec leur variante à l’orthographe usuelle plus traditionnelle.

 

Mots d’ici

 

« Quand on parle d’ouverture et d’enrichissement, on parle de plus de 10 000 mots québécois comme polyvalente, cégep, aluminerie » ; tous ces mots sont employés dans le registre standard, ils servent ainsi de référence dans la hiérarchisation de l’ensemble des usages. D’autres mots utilisés dans un registre non standard ou encore des mots dont l’usage est perçu négativement seront identifiés par une marque d’usage.

 

Toutefois, on ne s’est pas contenté d’ajouter des mots en usage ici, mais on a aussi tenté d’augmenter la réalité de certains autres. Par exemple, aux mots pomme, laitue et truite, on a fourni toute une liste des différentes variétés typiques au Québec comme Lobo, frisée ou mouchetée, tout en gardant les variétés plus européennes comme reinette, batavia et arc-en-ciel.

 

Il est d’ailleurs important de bien situer l’usage qui a cours au Québec par rapport aux autres usages à l’intérieur de la francophonie. Des marqueurs informent l’usager de ce qui est la norme à l’extérieur du Québec, cette norme décrite par les dictionnaires d’origine française. L’ouvrage mentionne les recommandations de l’Office québécois de la langue française ainsi que celles des organismes français de normalisation linguistique. « C’est la première fois qu’on a un dictionnaire qui offre le tronc commun tout en s’ouvrant à l’ensemble de la francophonie. »

 

Féminisation

 

Quand arrive le thème de la féminisation des titres, le dictionnaire propose encore cette même ouverture : « À l’entrée auteur, on mentionne auteure, qui est surtout en usage au Québec; en France, on précise qu’auteur est aussi utilisé au féminin et qu’autrice est plus rare. Tous les féminins de titres et fonctions ont été ajoutés, mais comme on fait le pont avec la francophonie, on ne peut laisser penser à l’ensemble des francophones que auteure est en usage partout. »

 

Au Québec, les emprunts à l’anglais, les anglicismes et les calques ont la vie dure pour plusieurs raisons, dont des raisons historiques, toutefois, ils ont aussi bien mauvaise réputation. Malgré tout, certains mots ont réussi à s’intégrer à l’usage standard — non seulement à l’oral, mais aussi à l’écrit —, mais ils sont en minorité, et pour tous les autres, leur emploi est des plus critiqués. Les mots retenus dans le dictionnaire sont ceux qui sont les plus répandus dans la presse québécoise. Par souci pédagogique, les mots les plus critiqués n’ont droit qu’à un traitement partiel, ne serait-ce que pour introduire des substituts à emploi standard. Dans le cas des emprunts, on le sait, nos cousins ne les perçoivent pas de la même manière que nous; Usito a donc cru bon de préciser le contexte dans lequel ces emprunts sont critiqués.

 

« La tendance est donc une ouverture vers le changement, vers la variété. Pour nous, ce n’est pas d’isoler le français employé au Québec — au contraire —, c’est de partir des ressources lexicales communes à toute la francophonie et d’y ancrer nos mots, d’y ajouter leur sens et de les enrichir avec nos expressions. On part d’un centre dominant pour dire que le français appartient à tous les francophones. »

 

Usito: une description ouverte de la langue française, in colloque 329: Quelles tendances dans les discours de référence sur la langue française?, le mercredi 14 mai à 14h au pavillon Hall.

 

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Collaboratrice

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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