Du renouveau dans l’analyse de Michel Foucault

Sarah Poulin-Chartrand Collaboration spéciale
Michel Foucault
Photo: Archives Agence France-Presse Michel Foucault

Ce texte fait partie du cahier spécial ACFAS 2014

Jorge Calderón est professeur au Département de français à l’Université Simon Fraser de Vancouver. Il sera présent au prochain congrès de l’ACFAS, pour aborder l’oeuvre de Michel Foucault à l’intérieur d’un colloque entièrement dédié à l’écrivain français.

Le colloque auquel vous participez s’intitule Ordre du discours et discours du désordre : l’héritage littéraire de Michel Foucault. Pourquoi un colloque sur Foucault, exactement ?

 

Il y a en ce moment un renouveau de la pensée de Michel Foucault, avec deux grands courants d’interprétation de ses textes. Le premier courant est de tradition française et il s’attache à conserver un héritage de Foucault, par rapport à ses théories qu’il appelait lui-même l’archéologie, l’histoire des idées. Plus tard, il développe ce qu’il appelle la généalogie, en tentant de comprendre comment se développent certaines idées. Puis, il se penche sur l’éthique, mais en rejetant le concept d’humanisme. Foucault était contre ces grandes idées de Dieu, de la raison, de la nature, de l’essence… Il voulait s’en débarrasser et plutôt penser une éthique à partir des pratiques. Tout cela est l’interprétation de Foucault de tradition française.

 

Et vous avez la tradition anglo-saxonne, américaine, représentée par des auteures comme Eve Sedgwick ou Judith Butler, qui, elles, vont plutôt s’approprier Foucault et utiliser sa pensée pour développer des choses complètement différentes. Judith Butler, par exemple, dans Gender Trouble et Bodies that Matter, essaie plutôt de repenser les catégories de Foucault, sans nature, sans essence, sans transcendance, autour du féminisme. Elle va dire que l’homme et la femme n’existent pas comme catégorie, un peu comme ce que disait Foucault par rapport à l’humanisme. Pour Butler, nous sommes dans la performance, du masculin, du féminin.

 

Et pourquoi ce renouveau dans l’analyse de Foucault se produit-il maintenant ?

 

Entre autres parce que les interprétations américaines de Foucault ont un grand impact en France actuellement, parce que ces auteures-là ont été traduites récemment. En même temps, il y a un très grand intérêt pour Foucault avec la publication de ses cours au Collège de France.

 

Dans vos champs d’intérêt littéraires, vous mentionnez notamment le genre, la diversité sexuelle, les théories queer. Votre intérêt à analyser l’oeuvre de Foucault, comme professeur de français, est-il à cheval entre les traditions de lecture françaises et anglo-saxonnes ?

 

C’est-à-dire que mon travail est d’être très conscient de ce qui se fait aux États-Unis et en Angleterre, par rapport à ce qui se fait en France. J’essaie donc d’équilibrer les deux lectures, oui.

 

Sur quoi portera plus précisément votre présentation ?

 

J’aborde la manière dont une pratique de la littérature chez Foucault lui a permis d’écrire et d’explorer certains concepts par la suite. Par exemple, lorsqu’il est question de la prison, Foucault va décrire et expliquer notre société, qui est pour lui une société pénitentiaire. Il décrit donc notre société en fonction d’une certaine pratique littéraire, mais pas de manière explicite.

 

Ce sont ces emprunts qui m’intéressent. Foucault est toujours dans l’interdisciplinarité, dans la transdisciplinarité ; il utilise des concepts philosophiques, et les transfère dans une réflexion politique ou sociale.

 

Vous vous spécialisez dans la littérature française et québécoise des XXe et XXIe siècles. Avez-vous des exemples des thématiques du genre, ou de la diversité sexuelle, dans cette littérature québécoise ?

 

Plusieurs. Il y a un mouvement extrêmement important de cette littérature, qui commence très tôt au Québec, et dont le grand représentant est Michel Tremblay. Son oeuvre a été interprétée de manière politique dans les années 70, par rapport à l’éveil national du Québec, et on a interprété les personnages de travestis par rapport à une certaine aliénation du sujet québécois.

 

Mais vous voyez très bien qu’on peut aussi interpréter Michel Tremblay par rapport à une marginalité sexuelle, qu’on peut revenir à une interprétation de la sexualité qui est beaucoup plus liée à la question d’un certain rejet social.

 

Vous avez aussi tout le mouvement des femmes, dont l’une des écrivaines les plus importantes est Nicole Brossard. Sa réflexion est ancrée dans le féminisme, mais une place centrale est faite à la question lesbienne. Dans sa poésie, dans ses essais. On peut aussi penser à Marie-Claire Blais, chez qui on trouve la question gaie et lesbienne. Et il y a finalement de grandes pièces de théâtre des années 80 : Being at Home with Claude, Les feluettes, Provincetown Playhouse, qui sont toutes des pièces à thématique gaie.

 

Il y a tout un travail à faire au Québec par rapport à ces textes-là, de ne plus les lire dans une tradition politique, d’aliénation du Québec, mais de les lire à la lumière des théories du genre et des théories queer.

 

Lorsqu’on pense à Michel Tremblay, notamment, l’analyse de son oeuvre sous l’angle de la diversité sexuelle n’est pourtant pas nouvelle ?

 

Ce sont les cadres qui diffèrent. La théorie queer est une théorie de la performance, et n’est pas une théorie ancrée dans l’essentialisme. Les catégories gaies, lesbiennes ou hétérosexuelles ne sont plus vues comme des catégories essentialistes, ou naturelles, mais comme des processus d’identification, de sélection, de choix personnel de performance. On est dans la construction sociale. Il y a donc un changement de paradigme.


De certaines stratégies pour interpréter les dynamiques des constructions culturelles : processus de connaissance et systèmes de savoir dans les théories de Michel Foucault, in colloque 306 : Ordre du discours et discours du désordre : l’héritage littéraire de Michel Foucault, le jeudi 15 mai à 10 h au pavillon Hall.

Collaboratrice

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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