Les nouvelles technologies ont-elles un pouvoir infini?
![Michael E. Sinatra: «Il [le numérique] transforme la manière dont on accède à l’information, dont on la diffuse. En fait, le numérique n’est pas neutre. »](https://media2.ledevoir.com/images_galerie/nwd_194761_140508/image.jpg)
Ce texte fait partie du cahier spécial ACFAS 2014
Les possibilités du numérique sont infinies, mais réfléchir sur ses impacts n’est vraiment pas un luxe. Michael E. Sinatra, chercheur à l’Université de Montréal, s’est donné mission d’en comprendre les arcanes.
Le monde du travail, les loisirs, voire la quête de l’âme soeur, tout cela est transformé par le numérique, cette façon unique de tout codifier pour rendre tout plus accessible plus rapidement, peu importe la largeur de l’écran.
Ces bouleversements, Michael E. Sinatra les observe depuis plusieurs années déjà. Professeur au Département d’études anglaises de l’Université de Montréal depuis 2001, il est également le directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur les humanités numériques (CRIHN). La présence de l’organisme s’annonce remarquée au congrès de l’ACFAS avec la tenue du colloque Repenser le numérique au XXIe siècle, le 12 mai prochain.
Le sujet est vaste, ambitieux, mais pour ce spécialiste de la littérature anglaise du XIXe siècle, « l’ubiquité du numérique dans notre vie est tellement forte » que sa présence semble relever de l’évidence. Dans son bureau tapissé de livres où il reçoit le Devoir, celui qui a fondé une revue électronique savante en 1996 invite autant les chercheurs que le grand public à une réflexion en profondeur. « Le numérique est perçu comme un outil qui n’a en soi aucune valeur, affirme Michael E. Sinatra, mais il est beaucoup plus insidieux que ne l’était par exemple la télévision. Il transforme la manière dont on accède à l’information, dont on la diffuse. En fait, le numérique n’est pas neutre. »
Transformations
Cette absence de neutralité se constate tous les jours dans son propre milieu, celui de l’enseignement et de la recherche universitaires. Il se souvient encore de ses années d’études doctorales à Oxford, à une époque pas si lointaine où il fallait « attendre plus de 3 semaines un livre qui était dans une autre bibliothèque » ; le même bouquin peut maintenant être accessible sur Google Books.
Avec l’arrivée du numérique, le rôle du professeur et du chercheur subit une radicale transformation. « L’enseignement ne peut se faire de la même manière quand on a toutes ces technologies, insiste Michael E. Sinatra. Comment enseigne-t-on la géographie et la littérature à l’heure de Google Maps ? Quand on donne à lire un roman de Charles Dickens, on peut amener les étudiants dans le Londres que Dickens a connu. Depuis quelques mois, Google permet de faire des voyages dans le temps car non seulement ils possèdent les cartes actuelles mais ils numérisent aussi d’anciennes cartes, ce qui vous permet de visiter des villes à travers le temps. Ce sont des outils qui changent un peu la manière de parler de ces paysages. »
Ce passionné du numérique ne manque jamais d’exemples pour illustrer le pouvoir infini des nouvelles technologies, secouant pratiques et habitudes. Il en veut pour preuve le parcours d’un collègue d’une université américaine et sa manière peu orthodoxe d’obtenir une promotion. « Il avait beaucoup contribué à l’encyclopédie en ligne Wikipédia avec plus de 17,000 articles au cours des 5 dernières années, parfois en faisant des corrections, parfois en écrivant de nouveaux articles. » On a déjà vu forme plus traditionnelle de production scientifique.
Pour grand public
Le colloque Repenser le numérique au XXIe siècle ne se présente pas seulement comme une discussion entre initiés. Les organisateurs liés au CRIHN veulent, tout au long de la journée, jeter des ponts avec le grand public, lui aussi fasciné tout autant que bousculé par le numérique. C’est d’ailleurs une des ambitions de Michael E. Sinatra et de ses 30 collègues issus des universités et cégeps du Québec qui participent au dynamisme du CRIHN, voulant ainsi « casser cette frontière de la tour d’ivoire universitaire ».
Par exemple, à l’heure du Web 2.0 (« Le 3.0, vous savez, nous y sommes déjà… ») et des communautés d’« amis » sur Facebook, trouver l’âme soeur apparaît plus simple que jamais, surtout devant cette abondance de sites Internet « où vous avez potentiellement accès à 300 000 personnes », comme le souligne Michael E. Sinatra avec un peu d’ironie.
Dans le cadre du colloque, et avec la collaboration de son collègue Marcello Vitali-Rosati, il abordera cette question dans une conférence judicieusement intitulée L’amour (en) numérique. Selon lui, les algorithmes n’ont jamais été autant au service de l’amour, ou du moins sa quête effrénée, créant ainsi un curieux paradoxe. « On assiste à une accélération : les gens attendent plus, plus vite, veulent de bonnes réponses… et que ça soit comme avant ! On tient à garder l’idée du coup de foudre, des rencontres fortuites, un mythe encore entretenu par Hollywood. »
À cette vision « romantique, très période médiévale » se superposent les possibilités du numérique qui font en sorte qu’avec la géolocalisation, par exemple, « vous pouvez maintenant rencontrer quelqu’un dans un rayon de 3 km ». De plus, fini les cachotteries, car Google, Microsoft et la NSA en savent déjà beaucoup sur vous, et ce n’est pas terminé. « Si vous indiquez dans votre fiche que vous aimez les personnes aux cheveux blonds, mais que vous regardez beaucoup les photos des gens aux cheveux bruns, le système va en tenir compte, et sans vous le dire… »
Comme quoi l’amour, ce n’est jamais simple. Alors imaginez l’amour (en) numérique…
Le colloque 61:Repenser le numérique au 21e siècle, le lundi 12 mai de 9h à 17h au Pavillon Hall.
Collaborateur
Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.