Excellence et rentabilité sont-elles synonymes?

Ce texte fait partie du cahier spécial Universités - Recherche
En recherche, le gouvernement fédéral est un acteur majeur lorsqu’il est question de financement. Et le dernier budget Flaherty déposé indique clairement qu’une nouvelle donne régit en terre canadienne la distribution des subsides. La recherche doit-elle être uniquement évaluée selon sa capacité de soutenir les entreprises ? Selon sa seule capacité de générer des revenus potentiels ? Si, à cette double question, le gouvernement Harper répond « oui », il se trouvera dans le monde universitaire plus d’un acteur pour souligner le côté pervers d’une telle politique.
Tout dépôt de budget est un événement qu’on ne peut inscrire que sous la seule rubrique financière. Souvenez-nous, l’an dernier, du projet de loi omnibus C-38, dont les 400 pages ont été les sources de plus d’une controverse : de l’assurance-emploi aux programmes d’aide aux organismes non gouvernementaux, les organismes à but non lucratif étant plus d’une fois visés par une mesure ou l’autre.
Et le gouvernement Harper, qui ne craint pas d’afficher son néolibéralisme, son caractère nettement plus conservateur que progressiste, revient cette année à la charge et touche cette fois directement au monde de la recherche universitaire. Un nouveau programme de financement, Apogée, est ainsi mis en place avec un objectif avoué bien spécifique : « Aider, nous dit le texte législatif, les établissements postsecondaires canadiens à exceller à l’échelle mondiale dans des domaines de recherche qui procurent des avantages économiques à long terme au Canada. »
En clair : subventionner l’« ésotérique », peu importe sa forme, que ce soit en philosophie, en sciences sociales, voire en sciences pures, serait sans intérêt pour un ministre des Finances qui considère que son mandat consiste plus à générer des profits immédiats qu’à établir une politique d’investissement où l’économique, le social et l’intellectuel y trouveraient leur compte. Il ne faut pas non plus oublier que les élections ont normalement lieu tous les quatre ans.
Réaction
Dans sa réaction à ce budget, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) affirme, par voie de communiqué, y voir là une situation dangereuse, d’autant plus, écrit-on, qu’« on peut se questionner sur la pertinence d’un programme qui entre en concurrence, sinon en conflit, avec les mandats des trois conseils de recherche (CRSH, CRSNG et IRSC). Ces derniers, d’ailleurs, ont vu leurs budgets rétrécir gravement depuis 2007. Malgré un financement additionnel annoncé de 46 millions de dollars, le budget global de ces organismes a diminué de 5 % par rapport au budget de 2007-2008 ! »
Et de signaler plus bas que « la FQPPU s’inquiète une fois de plus de la vision étroite du gouvernement fédéral en matière de science et d’innovation. Dans le cadre d’une politique scientifique, l’octroi d’une subvention publique de recherche (500 millions) à l’industrie automobile, par exemple, est inexplicable. »
Soutien
Qu’il y ait dans les universités une recherche « utile », cela va de soi. L’Université McGill vient ainsi de signer une entente de partenariat avec l’Université des postes et des télécommunications de Pékin : les équipes sino-québécoises ont ainsi conçu et testé des capteurs avancés pour la surveillance sans fil des patients. À l’Université de Sherbrooke, le Centre de recherche sur les environnements intelligents a ainsi conçu un appartement intelligent qui servira, là encore, dans le monde hospitalier. Et, à l’Université Concordia, le professeur Ching Suen oeuvre, au sein du CEPARMI, à concevoir des appareils dont l’usage aura des applications dans les domaines de la météorologie, de l’agriculture, de l’urbanisme et même (et cela ne peut déplaire à un gouvernement qui apprécie l’univers guerrier) de la surveillance militaire. Car, comme le dit notre chercheur, si « nous faisons de la recherche fondamentale, nous avons aussi un plan pour diffuser nos résultats, dans la mesure du possible, auprès des entreprises ».
Et certains universitaires iront même plus loin dans cette volonté de mettre en place des outils ou des systèmes dont profitera toute l’économie. Younès Messaddeq, de l’Université Laval, s’en est même fait une mission. Pour celui qui veut que le Québec devienne un leader mondial en photonique, il y a en recherche une obligation autre que le seul résultat : « On doit toujours chercher à contribuer au PIB du pays où nous sommes. »
Équilibre
Que la recherche soit utile, tant mieux. Nous voulons tous que les avions volent, que l’empreinte humaine sur le climat soit diminuée, que des moyens de production soient améliorés, qu’il y ait moins de dépendance envers la surconsommation pour générer des profits. Mais cela doit-il se faire au détriment d’un développement de la pensée, de ces lieux qui accordent une plus grande priorité aux questions qu’aux réponses ?
Tel est le débat, car tel est ce qui distingue la recherche fondamentale de la recherche appliquée. Et, dans un monde, celui de la politique néolibérale, où l’économie est considérée non pas comme un système mais plutôt comme un simple jeu de calculs entre investissements et profits, cette économie a ses lois. Et c’est la rentabilité immédiate qui les établit.
Malheur alors à qui croit que le mot « bilan » désigne plus vaste qu’une simple guerre de chiffres.
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