Le fédéral mène en un temps record sa consultation sur la recherche universitaire

Etienne Plamondon Emond Collaboration spéciale
L’Institut national de la recherche scientifique
Photo: INRS L’Institut national de la recherche scientifique

Ce texte fait partie du cahier spécial Enseignement supérieur - Février 2014

Un mois. C’est tout le temps laissé par Ottawa pour réfléchir à des recommandations au sujet de la nouvelle stratégie fédérale en matière de sciences, de technologie et d’innovation. Le 8 janvier dernier, le milieu de la recherche a été pris de court lorsque Greg Rickford, ministre d’État des Sciences et de la Technologie, a annoncé le lancement d’une consultation publique qui prendra fin le 7 février prochain.

 

La Fédération québécoise des professeures et des professeurs d’université (FQPPU) a été la première à dénoncer publiquement la consultation dans sa forme actuelle et à la qualifier de « coquille vide » dans un communiqué. « Pour nous, ça signifie qu’il est impossible de faire un travail d’examen et de recommandation sérieux, explique au Devoir Max Roy, président de la FQPPU, au sujet du temps accordé. Devant cette situation, on ne peut que penser que c’est volontaire, que le gouvernement a voulu nous limiter dans nos possibilités de critiquer et de suggérer des changements à sa politique, parce qu’on n’aura pas le temps d’examiner en profondeur ce qui est proposé. On est piégé dans le processus. C’est comme si les décisions étaient déjà prises. »

 

Robert Johnson, agent professionnel qui s’occupe des relations avec le gouvernement pour l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), s’interroge aussi sur la démarche. « C’est un peu bizarre et ce n’est pas tout à fait clair, exprime-t-il à l’autre bout du fil. Il n’y a pas d’information sur ce que le gouvernement va faire par la suite. Est-ce que toutes ces réponses vont être mises en ligne ? Est-ce que, ensuite, Industrie Canada va organiser des assemblées publiques pour faire un suivi ? Est-ce qu’il y aura des témoignages devant un comité ? La seule chose qu’on sait ici, c’est qu’on peut envoyer des réponses par courriel. »

 

L’Acfas: exclue!

 

L’Association des universités et collèges du Canada (AUCC) a confirmé au Devoir qu’elle a reçu d’Industrie Canada une invitation claire à se prononcer dans la consultation. Ce n’est pas le cas du côté de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), qui n’avait toujours pas reçu une telle invitation au moment d’écrire ces lignes. Pourtant, l’Acfas constitue une référence dans le domaine. Sa présidente, Louise Dandurand, juge que la consultation manque de transparence. « Je trouve que c’est un processus pour le moins étrange », dit-elle.

 

Elle en sait quelque chose : l’Acfas avait été mandatée par le gouvernement du Québec, avec l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec (ADRIQ), pour mener les consultations sur la Politique nationale de la recherche et de l’innovation (PNRI). Celles-ci s’étaient étalées sur plusieurs mois. Tant l’Acfas que l’ADRIQ avaient organisé des rencontres avec des associations ou des groupes concernés. Des questions avaient été fournies par le gouvernement, mais les deux associations indépendantes avaient le loisir d’en ajouter, tout en jouant un rôle de médiateur. Dans ce cadre, toutes les démarches avaient été rendues publiques. La consultation actuelle du gouvernement fédéral « est un processus diamétralement opposé, affirme Mme Dandurand. Bien que ce soit un processus officiellement très ouvert, qui invite tous les Canadiens à se prononcer, il est tout de même très opaque. Et, surtout, c’est un processus conduit par le gouvernement avec des questions très fermées, qui sont le reflet d’une vision étroite de ce que doit être une stratégie des sciences et technologies 

 

Étrange document

 

Le document de consultation (http://bit.ly/1f79uis) n’a que sept pages, si on compte la couverture. « Quand on consulte, habituellement, c’est à partir de propositions et de documents qui détaillent assez bien les choses, signale Max Roy. Parfois, il y a des ballons d’essai, mais au moins on a suffisamment de matière. Là, on n’arrive pas à voir ce qui est en dessous. »

 

Les textes d’introduction vantent le Canada comme un « chef de file mondial » dans le domaine de la recherche. La conclusion, quant à elle, prend le 150e anniversaire de la Confédération comme prétexte pour renouveler sa politique en sciences et technologies. C’est ce qui pousse Robert Johnson à conclure qu’il ne s’agit pas d’une vraie consultation, mais d’un « simulacre ». « C’est presque un document de célébration, observe-t-il. Il y a eu des manifestations du public et des scientifiques dans les dernières années. Il y a eu des critiques dans des revues prestigieuses sur la scène internationale. Et qu’est-ce que le gouvernement fait ? Il dit qu’on est sur le bon chemin. Finalement, soit il va nous ignorer, soit il va continuer dans la même voie, parce que le contexte dans lequel sont insérées les questions indique clairement que tout est orienté vers le secteur privé. Il n’y a rien sur l’indépendance ou l’intégrité scientifiques. Il n’y a rien non plus qui indique qu’il va peut-être effectuer une réorientation par rapport à ce qu’il a déjà fait. »

 

Le document accorde une grande importance aux innovations au sein des entreprises. La recherche fondamentale, elle, y est totalement occultée. « Ça devient affolant, parce qu’on se dit qu’il n’y aura plus d’argent pour le secteur des sciences humaines, des sciences de la culture et même pour les sciences de la nature dans une approche fondamentale ou théorique », s’inquiète Max Roy.

 

Louise Dandurand illustre le fait que, pourtant, « l’alimentation de l’oléoduc de la recherche et de l’innovation se fait par la recherche fondamentale », complètement omise lorsque le document parle de découvertes. À la question « Comment le Canada peut-il continuer à former, attirer et maintenir en poste les chercheurs les plus talentueux au monde dans nos entreprises, nos établissements de recherche, nos collèges, nos écoles polytechniques et nos universités ? », Mme Dandurand répond que la « première façon d’attirer et de garder l’expertise, c’est d’avoir des universités qui sont très performantes avec des infrastructures de pointe ». Elle dénonce au passage les récentes politiques du gouvernement dans le domaine de la science et souligne que ce n’est pas en fermant des bibliothèques scientifiques, en mettant fin à des projets de recherche internationalement réputés ou en empêchant des chercheurs embauchés par le gouvernement de communiquer librement leurs résultats « qu’on va attirer et retenir l’expertise. Au contraire, on la fait fuir. »

 

Malgré la désillusion, les personnes interrogées ont assuré qu’elles allaient tout de même jouer le jeu et soumettre plusieurs recommandations. « Nous allons certainement aborder des sujets qui nous tiennent particulièrement à coeur, même si les questions ne sont pas dirigées en ce sens », déclare Louise Dandurand. Elle évoque l’importance de l’équilibre entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, l’équilibre entre les différentes grandes disciplines, la bonification du financement consacré aux coûts indirects de la recherche, ainsi que l’importance de la recherche fondamentale pour appuyer des recherches éclairées au sein des agences gouvernementales et des ministères. L’ACPPU, de son côté, suggérera la création d’un poste de secrétaire scientifique parlementaire indépendant. Aussi, elle réclamera le recours à des mécanismes pour assurer l’indépendance des conseils subventionnaires.


Collaborateur

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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