Identité ou citoyenneté? - Transmettre le sentiment d’appartenance

Sarah Poulin-Chartrand Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Histoire - Indentités et bilinguisme

Professeur à l’École d’études publiques, François Charbonneau s’intéresse de près aux questions touchant la francophonie, les identités minoritaires et majoritaires, les identités politiques et le nationalisme au Canada. Il sera d’ailleurs présent au colloque sur l’enseignement de l’histoire qu’organise l’Association d’études canadiennes, les 17 et 18 octobre prochains, afin de parler de l’enseignement et de la transmission d’un sentiment d’appartenance dans les collectivités francophones à l’extérieur du Québec.

 

Comment le sentiment identitaire d’un peuple se transmet-il ? Comment se construit-il ? Qu’en est-il de la transmission de l’identité chez les minorités linguistiques d’un pays ? Ce sont là quelques-uns des sujets auxquels s’intéresse François Charbonneau, de l’Université d’Ottawa.

 

Cette question de la transmission du sentiment identitaire était également au coeur d’un ouvrage qu’il a cosigné avec Martin Nadeau en 2008, L’histoire à l’épreuve de la diversité culturelle.

 

« L’objectif de ce livre était d’essayer de réfléchir à la question de la transmission, dans le contexte très précis du nouveau programme d’histoire au Québec, rappelle François Charbonneau. Qu’est-ce que ça peut vouloir dire, dans le contexte de l’école, de transmettre un sentiment d’appartenance ? C’est un peu problématique, parce que, d’un côté, on veut développer chez l’étudiant un esprit critique, une capacité d’exercer sa raison, d’acquérir une autonomie, mais, paradoxalement, c’est la fonction d’une collectivité de garantir l’autonomie individuelle. Il y a donc toujours eu un besoin pour les collectivités de transmettre soit un sentiment identitaire, soit un certain nombre de valeurs. »

 

Rappelons que le cours d’histoire au secondaire est également un cours de sensibilisation à la citoyenneté. Les objectifs de ce cours sont définis ainsi : « amener les élèves à comprendre le présent à la lumière du passé » et les préparer à « participer de façon responsable, en tant que citoyens, à la délibération, aux choix de société et au vivre-ensemble dans une société démocratique, pluraliste et ouverte sur un monde complexe ».

 

La version Walt Disney de l’histoire

 

Le danger, croit François Charbonneau, est que, en essayant de transmettre une certaine vision de ce que devrait être la citoyenneté (l’ouverture à l’autre et la diversité, par exemple), on utilise l’histoire comme matériau de cette construction de citoyens. « On dénonçait dans ce livre la confusion des genres : connaître l’histoire, c’est une chose, mais la sensibilisation à la citoyenneté en est une autre. »

 

En voulant transmettre une valeur comme l’égalité homme-femme, par exemple, est-on tenté de critiquer certains pans de l’histoire où cette égalité n’était clairement pas respectée ? « Le cours d’histoire sert au fond à formuler une critique sur la manière dont ce peuple-là était auparavant. En d’autres mots, on n’arrive pas à transmettre un sentiment d’appartenance », ajoute le professeur.

 

Trop verser dans l’histoire « glorifiée », afin qu’elle forge ce sentiment identitaire, est aussi risqué. « Il y a aussi un danger de tomber dans une vision nationaliste et de faire dire à l’histoire certaines choses. On peut intéresser les jeunes à l’histoire, et elle aura toujours une part de politique, mais on devrait laisser aux historiens le soin de transmettre l’histoire. Au final, je trouve que c’est aussi grave d’avoir une visée politique que d’avoir une visée cachée dans l’enseignement de l’histoire, qui est celle d’inculquer l’ouverture à l’autre. Pas parce que c’est une mauvaise chose, mais parce que ça peut être fait ailleurs et que l’histoire de l’humanité, c’est l’histoire du bien ET du mal. »

 

Selon François Charbonneau, ce détournement des cours d’histoire se traduit, par exemple, dans l’enseignement de l’histoire autochtone, complètement édulcorée au profit de l’ouverture aux autres. « C’est l’histoire de Pocahontas… Tout allait bien, jusqu’à ce que les méchants blancs arrivent. C’est aussi ridicule que la vision qu’on avait des sauvages assoiffés de sang, il y a 60 ans, contre lesquels s’étaient battus nos glorieux missionnaires. On verse dans la niaiserie la plus totale, parce que l’objectif du programme n’est pas de transmettre ce qui s’est passé comme information, mais de faire de bons citoyens ouverts à d’autres cultures. Au lieu de présenter la vraie réalité autochtone, dans toute sa complexité, on nous présente la version Walt Disney et je trouve cela aberrant. »

 

Les défis hors Québec

 

La transmission identitaire chez les minorités francophones du Canada fait face à un tout autre problème. Dans les programmes d’histoire, on apprend celle du Canada anglais, mais la plupart des provinces sont sensibles aux questions minoritaires, explique François Charbonneau. « Il y a une grande marge de manoeuvre dans ces communautés francophones et, si on enseigne une matière un peu empruntée à ce qui se fait en anglais, on réserve aussi une grande place à l’histoire francophone. » Le défi, donc, réside plutôt dans le fait que serait de moins en moins prononcé le sentiment d’unicité des francophones à l’extérieur du Québec (hormis les Acadiens).

 

En Ontario, par exemple, les gens ont de plus en plus une identité canadienne. « On tente donc de transmettre une identité franco-ontarienne à des étudiants dont la vaste majorité est issue d’un couple francophone-anglophone. Pour eux, l’identité francophone, alors qu’ils n’apprennent souvent pas le français à la maison, mais à l’école, c’est complètement différent. Ils n’adhèrent pas du tout à l’opposition entre francophones et anglophones, et l’idée même de transmettre un sentiment identitaire ou de se définir comme un Franco-Ontarien est contestée. »

 


Collaboratrice

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