Point chaud - La fin de la CREPUQ, «un désastre»

«La fin de la CREPUQ n’est rien de moins qu’un désastre pour le réseau universitaire». L’ancien recteur de l’Université Laval, Michel Gervais, est catégorique. Il ne voit pas comment la société québécoise et les universités elles-mêmes pourraient se passer de cet organisme en pleine crise et dont plusieurs membres ont annoncé leur intention de partir.
« La CREPUQ, c’est un organisme de coordination de services en commun pour le bénéfice de la clientèle étudiante et de la société en général. Cette dimension est plus nécessaire que jamais. Si on l’abolit, par la force des choses, on va devoir la reconstruire d’une autre façon », avance M. Gervais, dans un entretien accordé au Devoir.
La Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, qui constitue une sorte de lobby politique dont certains jugent qu’il est désormais futile, est aussi une sorte de coopérative de services payés par les quotes-parts des établissements membres. Par exemple, l’organisme est formé de divers comités qui rendent possible, depuis trente ans, le prêt interbibliothèques, qui coordonnent les admissions, évaluent les nouveaux programmes.
Historiquement, elle a aussi joué un grand rôle, insiste Michel Gervais. « Notre système universitaire au Québec est une grande réussite. Regardez l’Université Laval. En 1954, il y avait 1750 étudiants et, en 1994, il y en avait 37 000. Pendant ce temps, on créait l’Université de Sherbrooke, l’Université Concordia et toutes les constituantes de l’Université du Québec. On a fait face à une remontée », illustre M. Gervais, qui a été administrateur en santé, au Centre hospitalier Robert-Giffard et qui préside actuellement le conseil d’administration de l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux. « On peut être fiers d’où on est rendus, fiers d’avoir rendu l’enseignement supérieur accessible en région. Et je prétends que la CREPUQ a été un instrument de ce succès grâce à la collaboration entre les universités. »
C’est l’actuel recteur de l’Université Laval, Denis Brière, qui a ouvert le bal, soutenant qu’il souhaitait quitter la CREPUQ, car elle n’était plus en mesure de représenter ses intérêts. Le recteur de l’Université de Montréal, Guy Breton, lui a emboîté le pas pour les mêmes raisons et les établissements du réseau UQ l’ont imité, même s’ils plaideront pour le maintien de l’organisme lors de la journée de réflexion qui se tiendra le jeudi 6 juin. Entre les lignes, on y lit que ce sont les divergences sur la façon de financer les universités qui les font s’entredéchirer.
Michel Gervais reconnaît que, de tout temps, les 18 chefs d’établissements universitaires, membres de la CREPUQ, ont eu du mal à parvenir à des consensus. « La dimension politique n’a jamais été facile; les intérêts des universités divergeaient beaucoup, mais on arrivait à prendre position lorsqu’on avait des intérêts communs. C’était la politique du plus petit dénominateur commun. Des fois, on accouchait d’une souris, mais elle était violente », dit-il.
Financement, sujet délicat
La question du financement a toujours été délicate. « C’était facile de se mettre d’accord sur le sous-financement. Mais à savoir d’où allait venir le financement et comment on allait le distribuer, il n’y a jamais eu de position commune », admet M. Gervais.
Le ministre de l’Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, a laissé entendre qu’une prime pourrait être rattachée aux universités ayant un plus grand nombre d’étudiants de première génération. À une certaine époque, concède M. Gervais, toutes les universités en auraient profité. Aujourd’hui, une telle mesure pourrait surtout avantager les universités situées en région, du réseau de l’Université du Québec, ce qui contrarie les universités à charte privée, comme McGill et l’UdeM, analyse-t-il.
En revanche, ces universités à charte, qui ont des facultés de médecine, plaident pour un financement différencié, alléguant qu’elles contribuent dans une plus grande part à la recherche qui se fait au Québec, voire au Canada. « Tout ça est vrai. Ces universités ont atteint des sommets d’excellence en recherche et on a intérêt à ce que ça soit pris en considération dans le financement. Mais les petites universités aussi font de la recherche. On n’a qu’à penser à l’UQAR [Université du Québec à Rimouski] qui est très bonne dans certains domaines et c’est la même chose à l’Université du Québec à Trois-Rivières, par exemple, où leurs recherches sur les poissons d’eau douce sont parmi ce qu’il se fait de meilleur dans le monde. »
Michel Gervais déplore les raisons pour lesquelles certains veulent quitter la CREPUQ. « Ce n’est pas parce qu’on ne s’entend pas sur certaines questions qu’on doit abolir la CREPUQ », souligne-t-il. Aux recteurs qui ont manifesté l’intention de pouvoir parler en leur propre nom, et non plus à travers l’unique porte-voix de la CREPUQ, l’ex-recteur de l’Université Laval rétorque que les établissements n’ont jamais été empêchés de faire valoir leur point de vue. « On a toujours pu défendre nos intérêts particuliers. Moi, j’ai toujours défendu bec et ongles les positions de l’Université Laval, mais ça ne m’a jamais empêché de m’entendre avec mes collègues sur certains points », fait-il remarquer. « Les universités sont invitées à aller au-delà des sautes d’humeur et des insatisfactions. On devrait plutôt réfléchir aux conditions pour que ça marche. »
Les universités doivent se tenir, comme le font les professeurs d’université au sein de leur fédération, comme l’ont fait les étudiants. « C’est comme si la force de la pression étudiante avait fait éclater le consensus entre les universités et mis en danger une organisation dont on a absolument besoin », a-t-il rappelé, craignant que d’autres ne s’approprient cet espace de parole qui appartenait aux établissements.
« On devrait donner à la CREPUQ une autre chance. Je ne crois pas que c’est dans les intérêts des universités de se retrouver seules devant ces groupes », note Michel Gervais, alors que lui viennent à l’esprit les mots de Benjamin Franklin : « We must all hang together, or assuredly we shall hang separately ». (Nous devons tous rester unis ou nous serons, à coup sûr, pendus séparément.)