Immigration - Une chaîne de protection humaine pour deux élèves salvadoriennes

Mille cinq cents élèves de l’école secondaire Mont-de-La Salle, à Laval, ont séché les cours jeudi matin l’espace d’une heure, mais ils ont reçu les félicitations de leurs enseignants plutôt qu’une retenue en guise de réprimande. C’est que l’école buissonnière servait une bonne cause : ils ont fait une chaîne humaine pour protéger deux de leurs collègues salvadoriennes, Rebeca et Veronica Alvarez Rivera, dont la famille est menacée d’expulsion dans un mois.
« C’est un geste de protection symbolique que nous voulons poser », avait expliqué avant l’événement Latifa Salifou, élève de quatrième secondaire au Mont-de-La Salle, mais aussi l’une des 65 députés que compte l’école dans son Parlement du Mont, et porte-parole du comité SolAR. « Les élèves vont former un cercle autour de Veronica et Rebeca ; l’idée, c’est de leur dire que nous sommes avec elles pour les garder en sécurité et que ce qui leur arrive nous dérange. »
Les élèves de cette école de Laval-des-Rapides ont appris à la dure que les demandeurs de statut de réfugié en attente d’une réponse du gouvernement canadien n’ont pas toujours la bonne nouvelle qu’ils espèrent. C’est la troisième fois cette année que certains de leurs camarades font face à un avis d’expulsion : avant les Alvarez Rivera, il y avait eu les Lazcano Espindola et leur fils Armando, et les Mendes Reyes avec leur garçon Eduardo. Ces deux familles ont été retournées au Mexique en cours d’année.
Une lettre signée par la « première ministre » du Parlement du Mont, Naomie Fournier, a été envoyée la semaine dernière au ministre de la Sécurité publique du Canada, Vic Toews, le sommant de suspendre l’avis d’expulsion imminent auquel font face les cinq membres de la famille, les parents Rafael et Elsy Alvarez Rivera, et leurs trois filles Alejandra, Rebeca et Veronica.
Les élèves ont suivi une démarche rigoureuse avant de se lancer dans cette démarche politico-solidaire, relate Dominique MacConaill, animateur de vie spirituelle et communautaire à l’école, l’un des adultes qui encadrent le Parlement du Mont. « Ils ont rencontré la famille, ont lu leur dossier en entier pour s’assurer de leur crédibilité, et ils ont été convaincus de ce qu’ils ont appris. Après, ils ont décidé d’agir. »
Face à cette chaîne humaine en train de se former, Rebeca, 17 ans, était très émue. « Merci beaucoup, c’est vraiment touchant. Je ne trouve pas les mots. C’est la première fois que je vois des gens unis pour une même cause comme ça. Même au Salvador, je n’ai jamais vu ça », a dit la jeune femme, soulevant la foule.
Menaces
Partis du Salvador après avoir été menacés de mort et d’extorsion par des membres de la très violente gang de rue Mara 18, les membres de la famille ont demandé refuge au Canada en 2009. Une première demande fut recalée. « Le gouvernement semble ne pas comprendre la logique salvadorienne où la police n’est pas nécessairement là pour aider les gens », dit Rafael Alvarez Rivera, qui garde encore espoir d’un revirement de situation.
La famille est convoquée le 13 juin par les autorités, et ce rendez-vous est destiné à leur dire quand exactement ils quitteront leur terre d’accueil. Ils ont obtenu un délai de six mois déjà pour permettre aux filles de terminer leur année scolaire. La seule issue qui reste, après avoir épuisé tous les recours traditionnels, consistait donc à faire une demande de résidence permanente pour motif humanitaire. Avant qu’elle soit entendue, cela pourrait prendre plusieurs mois, et tous ceux qui soutiennent la famille demandent donc qu’on suspende cet avis de départ, le temps que la demande de résidence soit analysée.
« J’ai très peur, très peur pour mes filles, dit Rafael, la voix brisée. Je sais que dans mon pays, on n’est pas en sécurité. » En attendant ce sursis espéré, les filles doivent replonger dans leurs cahiers d’étude, malgré toute l’anxiété qui les habite. Prochaine étape : les examens de fin d’année…