Un an après le 22 mars - Mémoire d’un printemps qui chauffe la couenne

22 mars 2012: plus de 200 000 manifestants défilent dans les rues de Montréal.
Il y a un an pile, 200 000 personnes arpentaient les rues pour protester contre la hausse des droits de scolarité. L’histoire ne retiendra-t-elle de ce conflit que quelques dates éparses, alors que sa mémoire est tellement plus riche, comme le montre Le printemps québécois. Une anthologie, en librairie aujourd’hui ?
Dans le disque dur du printemps étudiant, le carré rouge est en bonne compagnie. À côté des jalons incontournables — des manifs monstres ici et là, les moments forts d’un bras de fer entre le gouvernement et les étudiants, l’aridité d’une loi spéciale — se côtoient des archives singulières qui témoignent de l’élan de création unique insufflé par la jeunesse en plein conflit.
Voilà ce dont témoigne avec éclat un livre publié ce 22 mars, et dont l’existence tient précisément autour de ceci : documenter, avant que des fragments ne s’envolent, l’abondance et la diversité du conflit étudiant. Le printemps québécois. Une anthologie (Écosociété, mars 2013) a été conçu au plus fort de la grève par trois professeurs émerveillés par les modes d’expression créatifs choisis par les jeunes pour formuler désaccord et revendications.
À l’ère des réseaux sociaux, le manifestant 2.0 disposait de bien plus que de ses pieds, un slogan et une pancarte pour partager son mécontentement. Blogues, twitts, pages Facebook, manifestes, événements spontanés : la compréhension fine des réseaux socionumériques combinée à une imagination folle ont donné lieu à un riche partage d’informations pendant le conflit. En font foi les nombreux vidéos, photos et enregistrements défilant à vitesse grand V sur la stratosphère, doublant sans grand mal les médias traditionnels.
« Le mouvement social du printemps 2012 a été aussi, et peut-être surtout, soit un laboratoire d’idées, une explosion de créativité et une prise de parole collective (en mots, en arts et en actes) », écrivent en avant-propos du Printemps québécois les trois auteurs Maude Bonenfant (professeure de communication sociale et publique à l’UQAM), Anthony Glinoer (professeur de littérature à l’Université de Sherbrooke) et Martine-Emmanuelle Lapointe (professeure de littérature à l’UdeM).
Les trois professeurs ont entrepris une ambitieuse collecte d’archives qui détaille non seulement la chronologie des événements de février 2012 à février 2013, mais rend compte des documents, créations, groupes et événements qui ont existé en marge d’une foule d’événements chauds présentés en textes, vignettes et photos. Le tout présenté de façon ultra dynamique dans un livre mémoire de 300 pages.
« Ce qui nous a animés entre autres, c’était d’assister à toutes ces belles actions pensées par les étudiants, sans aucun écho dans les médias traditionnels », explique Maude Bonenfant, l’une des auteures, dont la grève a été « très, très occupée » à ramasser toutes ces archives avant qu’elles ne sombrent dans l’oubli. « Il fallait qu’il y ait une mémoire de cette grande imagination et d’un désir des jeunes de participer à leur manière à l’effort collectif. »
La professeure a été marquée par la capacité des étudiants de divulguer leur message en utilisant leurs forces. Ainsi, les étudiants en design de l’UQAM ont créé l’École de la montagne rouge, à l’origine de célèbres sérigraphies, dont l’une inventant l’expression « printemps érable ». Les étudiants en jeu de l’École supérieure de théâtre ont présenté pendant plusieurs jours une chorégraphie silencieuse sur les rames du métro de Montréal, où des comédiens habillés de rouge formaient une ligne interminable, le tout créant un effet certain, sans pourtant le moindre bruit. Les étudiants en urbanisme de l’UQAM ont drapé de rouge une partie du mobilier urbain, des sculptures aux arbres.
L’expression artistique a admirablement servi le propos étudiant. Le 22 mars, l’HAUSSEtie d’show chauffe le Métropolis, en compagnie notamment des Zapartistes. Le 2 avril, le concert On hausse le ton, alliant orchestre et poésie, anime le Conservatoire d’art dramatique de Montréal.
Et c’est sans compter les activistes tricoteuses (avec Maille à part), la marche à reculons, les mariages collectifs symboliques contre la hausse, les projections lumineuses sur des bâtiments, la chorale des grévistes, la parodie des Schtroumpfs sur la schtroumpf des droits de schtroumpf, la bière « La Matraque », une bière « au coup du jour » (gracieuseté des Brasseurs illimités en mai 2012) ou le jeu vidéo Angry grévistes, en écho au populaire Angry Birds — un mince échantillon de la créativité étudiante saveur conflit.
« Ce qui nous a frappés en faisant cette recension [non exhaustive, précisent les auteurs], c’est que le groupe a toujours eu préséance sur l’individu », ajoute Mme Bonenfant. En font foi les nombreux regroupements créés à la faveur du printemps : ici, Mères en colère et solidaires ou Profs contre la hausse, et là, plus inusités, le Regroupement pacifique de peluches et de figurines pour une société plus juste et plus solidaire (des petits défilés de peluches ont d’ailleurs coloré certaines artères) ou le distributeur de câlins Anarchopanda.
« Cette anthologie, c’est non seulement une manière de refaire le fil des événements et de montrer toute la richesse créatrice liée au conflit, mais c’est aussi notre hommage à tous ces militants qui ont pris la parole », dit Maude Bonenfant.