Plus facile de publier en anglais qu’en français?

Émilie Corriveau Collaboration spéciale
Photo: Newscom

Ce texte fait partie du cahier spécial Éducation/Recherche universitaire

Alors que partout à travers le monde, l’anglais s’impose comme la langue hégémonique de la science, doit-on craindre pour l’avenir de la recherche en français au Québec ? « Il est sous tension, mais il est encore temps de considérer l’usage grandissant de l’anglais comme un appel à l’excellence pour les chercheurs francophones », répond Pierre Noreau, vice-recteur à l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) et professeur chercheur à l’Université de Montréal.
 
S’il est juste d’affirmer que dans le contexte actuel de la recherche scientifique, l’anglais ne cesse de gagner du terrain, il importe de préciser que son usage n’a pas la même prépondérance dans tous les domaines ni dans toutes ses fonctions.
 
« Il faut d’abord distinguer les différents secteurs disciplinaires. Il y a des secteurs, le domaine des sciences de la nature, par exemple, où la publication se fait essentiellement en anglais. Dans ces secteurs-là, la proportion des publications francophones a diminué avec les années », souligne M. Noreau.
 
C’est ce que corrobore l’étude Le défi de former une relève scientifique d’expression française : l’usage du français et de l’anglais dans la formation universitaire aux cycles supérieurs au Québec, signée par Jennifer Dion, agente de recherche au Conseil supérieur de la langue française. D’après cette enquête, c’est dans les secteurs des sciences de la santé, du génie et de l’administration que la prédominance de l’anglais est la plus forte.
 
Dans le domaine des sciences humaines, des arts et des lettres, il semble que la situation soit tout autre parce que la langue utilisée en recherche joue un rôle différent, explique M. Noreau. « En sciences sociales, on n’a pas de langage universel, comme en mathématique, par exemple. Par conséquent, le fait d’écrire dans une langue ou dans une autre, ça a un impact direct sur le contenu même. Il y a une plus grande compénétration des dimensions linguistiques et des modes d’expression de la pensée. Dans ces secteurs-là, on ne peut tenir compte de la production scientifique sans tenir compte du caractère linguistique. »
 
Production et diffusion

Outre que la prépondérance de l’anglais varie considérablement selon les domaines de recherche, il importe de noter que son usage est plus fréquent lors de la diffusion des contenus scientifiques que lors de leur production. Ainsi, contre toute attente, bien que plusieurs chercheurs québécois soient suffisamment bilingues pour effecteur leurs recherches en anglais, beaucoup mènent toujours leurs travaux en français.
 
« Il existe des réseaux de coopération qui sont structurés autour du fait que les membres des équipes utilisent la même langue. Ce qui est intéressant, c’est qu’il ne s’agit pas uniquement d’une question de langue de coopération. C’est également dans certains cas des programmes de recherche qui se développent dans ces réseaux et qui ont leur spécificité. Les chercheurs développent un certain point de vue, une approche qui leur est propre. Cette diversité-là est très importante », soutient le vice-recteur de l’AUF.
 
Mais une fois prêts à être diffusés, les contenus peuvent souffrir de l’expression dans d’autres langues. Dans certains cas, relève M. Noreau, il s’agit même d’une condition au maintien de l’activité scientifique en français.
 
« Parfois, il faut s’assurer que la production francophone est accessible à la communauté scientifique, même si cette communauté-là n’est pas de langue française. […] Le lectorat anglophone, celui des États-Unis et du Canada anglais, est beaucoup plus proche de nous que le lectorat francophone ailleurs sur le globe. Il faut reconnaître qu’il y a une dimension attractive ; on écrit pour être lu », rappelle M. Noreau.
Plusieurs chercheurs empruntent donc cette avenue, même si leur maîtrise de l’anglais n’est pas aussi bonne que celle du français.
 
« Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il est parfois plus facile de publier en anglais qu’en français. En français, les exigences des éditeurs sur le plan de la qualité d’écriture et de la syntaxe sont très élevées. En anglais, les éditeurs de revues scientifiques acceptent très souvent de retravailler les textes des collaborateurs dont l’anglais n’est pas la première langue, ce qui n’est pas le cas en français. Ça permet donc aux chercheurs francophones de publier en anglais même si leur syntaxe n’est pas parfaite », précise M. Noreau.
 
Le vice-recteur de l’AUF note toutefois qu’il ne faut pas se bercer d’illusions sur la diffusion réelle de ce qui est écrit en anglais par les chercheurs québécois, justement parce que les communautés scientifiques se constituent en réseaux.
 
« En tant que chercheurs, notre priorité de lecture va toujours à des auteurs qui travaillent sur des sujets proches des nôtres. Dans beaucoup de cas, ils sont membres de nos réseaux de recherche. Bref, on se retrouve à lire surtout des collègues. Il n’est donc pas certain que nos articles sont lus lorsqu’on les publie en anglais si nous ne sommes pas membres de la communauté anglophone des lecteurs dans notre domaine », résume-t-il.

Accessibilité aux publications francophones

Si la production de recherche en français est toujours bien présente au Québec, l’accès aux publications francophones, lui, est plus complexe. D’après M. Noreau, cela est en partie dû au fait que contrairement au monde anglo-saxon, le milieu francophone de la recherche ne bénéficie pas d’un système d’indexation systématique des publications scientifiques.
 
« On peut dire qu’il y a moins de publications en français, mais la réalité, c’est qu’on ne le sait pas vraiment, parce qu’elles ne sont pas sur l’écran radar, confie l’homme. On n’a pas de système qui permet de savoir ce qui se publie, à quel niveau et à quelle hauteur. On n’est pas capable de savoir non plus si c’est repris ailleurs, si c’est cité ou non, etc. Techniquement, ça rend moins visible notre présence effective dans le milieu de la diffusion scientifique. Tant qu’on n’aura pas de système d’indexation, on aura des difficultés à calibrer le volume de ce qu’on fait réellement. »
 
Pour pallier cette situation, l’AUF travaille à la mise en place d’un tel système, mais étant donné la complexité d’un projet comme celui-ci, il s’agit d’une visée à long terme de l’agence.
 
« Il faut reconnaître que chez certains éditeurs, il y a une extraordinaire réticence par rapport à cela pour différentes raisons plus ou moins valables selon les cas, indique M. Noreau. Pour l’instant, les éditeurs numériques sont ceux qui se montrent les plus réceptifs. L’agence travaille sur le projet, mais ça prendra un certain temps avant qu’il ne se concrétise. »

 
Collaboratrice

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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