Sylvie Beauchamp au Devoir - Le financement à deux vitesses divise aussi les recteurs

Il n’y a pas que les étudiants qui se divisent sur la question du financement des universités. Les recteurs aussi. Au sein de la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (CREPUQ), l’idée d’un mode de financement à deux vitesses suscite de profondes divisions, confirme la présidente du réseau des universités du Québec (UQ), Sylvie Beauchamp, en entrevue au Devoir. « Il y a certainement une division d’opinions. » Selon elle, le jour où la CREPUQ voudra se positionner officiellement en faveur, « ça va diviser le réseau en deux ».
Le fossé entre les recteurs se creuse d’ailleurs depuis les premières discussions entourant la hausse des droits de scolarité. « On n’est pas sur la même longueur d’onde. » Elle ajoute qu’il n’y a jamais eu de « vraie bannière » derrière laquelle les recteurs se sont tous rangés. « Les enjeux commencent à nous distinguer. »
Que ce soit selon des critères d’excellence et de réputation ou même en fonction des disciplines, elle rejette tout scénario de financement différencié des universités, tel qu’avancé par les universités à charte privée, comme l’Université de Montréal et McGill. « Si on va jusqu’à la modulation selon le type d’université, c’est sûr que là, on va s’opposer, a-t-elle averti. On ne croit pas du tout, du tout à ça. C’est une solution facile, mais qui est trompeuse parce qu’elle occulte la réalité universitaire. »
Sylvie Beauchamp, qui siège comme présidente de l’UQ à l’exécutif de la CREPUQ, craint que cette idée ne soit déjà en train de faire son chemin dans le milieu, au sein de la population et même du gouvernement. « J’ai peur qu’elle se cristallise. Ça va se figer comme solution parce qu’il n’y en a pas d’autres. » Selon elle, personne n’osera discuter de cette proposition au Sommet sur l’enseignement supérieur qui débute lundi.
Une solution inapplicable
Pour elle, les droits de scolarité modulés contribueront à « creuser les écarts de richesse entre les établissements ». Se formeront alors deux classes d’universités, l’une qui bénéficiera d’un financement accru qui attirera les meilleurs étudiants, et l’autre qui ne pourra que dispenser une formation de premier cycle. « Pour certains, ça peut être attrayant comme idée, mais ce n’est pas applicable », soutient Mme Beauchamp.
Pourquoi ? D’abord parce qu’il est bien difficile de mesurer scientifiquement l’excellence, croit-elle. Ensuite parce que les classements internationaux, qui dressent la liste des meilleures universités, ne se basent que sur des critères de mérite (bourses et prix reçus par les profs), de richesse (revenus disponibles et dépenses dans certains domaines) et de notoriété (basé sur des sondages d’opinion). « Leur utilisation est donc délicate », avance-t-elle.
Financer plus largement les universités à grand volume de recherche est aussi injuste, notamment parce que ce seront toujours les universités qui ont des facultés de médecine qui remporteront le pactole. Selon Mme Beauchamp, toutes les universités ont une mission d’enseignement et de recherche qui est « indivisible ». « On fait tous de la recherche et on doit tous, à certains égards, être performants », ajoute-t-elle. Et bien que la recherche doive être encouragée, en faire en grande quantité n’est pas un garant de la qualité d’un établissement. « L’impact, c’est important aussi. Et ça se mesure. »
En outre, la présidente de l’UQ rejette l’idée d’une modulation des droits de scolarité de l’étudiant selon les coûts de sa formation ou de ses revenus après son diplôme - sauf peut-être à une condition : « Si c’est bénéfique pour l’ensemble du système. Mais est-ce que les autres universités accepteraient que l’argent des droits de scolarité différenciés soit récupéré par le gouvernement pour subventionner tout le système ? » Son ton laisse croire qu’elle en doute.
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Le CIRANO propose la modulation
À quelques jours du sommet, le CIRANO rend publique une proposition de modulation des droits de scolarité. Selon ce centre de recherche, la modulation permettrait d’éliminer les iniquités entre les étudiants et une redistribution entre eux. Par exemple, dans les disciplines où cela coûte cher de former les étudiants, les plus favorisés d’entre eux paieraient davantage et une partie de leur augmentation (30 %) serait utilisée pour faciliter l’accès des étudiants les moins riches à ces mêmes disciplines. Selon le modèle du CIRANO disponible ici, 45 % des étudiants de premier cycle ne subiraient aucune augmentation de leur facture, un montant supplémentaire de 200 millions serait injecté dans les universités « sans effort additionnel du gouvernement » et un montant de 85 millions serait consacré à des bourses.