Point chaud - «Le gel serait une grande victoire»

Le gel des droits de scolarité à l’université serait une grande victoire pour le mouvement étudiant québécois, estime le philosophe « utopiste réaliste » Michel Seymour, surtout s’il est décidé pour les bonnes raisons.
Les négociations en vue du Sommet sur l’enseignement supérieur, à la fin du mois, pourraient finir par tourner au marchandage où chaque camp essayera de grappiller le moindre cent, les uns pour une augmentation des droits de scolarité, les autres pour une marche vers la gratuité et, entre les deux, un ministre qui essaiera de vendre une forme ou une autre d’indexation, a observé en entrevue au Devoir le professeur de l’Université de Montréal.
« Cela pourra paraître dérisoire tout cela, mais, en fait, ce seront des principes fondamentaux qui se joueront alors. Le gel, c’est la défense d’un modèle québécois tourné vers le droit d’accès pour tous. L’indexation, même si elle est petite, c’est accepter une logique complètement différente qui pourrait nous amener, dans deux ans, à une grosse “indexation”. Si on obtient le gel, et qu’on comprend que c’est pour se rapprocher de la gratuité. Wow ! Ça serait majeur ! Ce serait une très grande victoire ! »
Devoir de philo
Le philosophe de 58 ans doit lancer ce lundi un nouvel ouvrage inspiré du Printemps érable et intitulé : Une idée de l’université, propositions d’un professeur militant. L’idée de cet ouvrage dédié à « Martine, Léo, Gabriel et les autres » est née d’un « Devoir de philosophie » que son auteur a publié dans Le Devoir, en mai, sur la hausse des droits de solidarité et la conception entrepreneuriale de l’université telle qu’aurait pu la voir John Rawls, un philosophe américain qu’il a beaucoup étudié. « Je n’ai jamais reçu autant de commentaires positifs suite à un article. J’ai pensé : il y a plus à dire sur ce sujet. »
L’ouvrage commence par établir quelques idées maîtresses de la pensée de John Rawls, « l’un des plus grands théoriciens de la justice au monde », notamment celle qu’il appelle la « juste égalité des chances ». Dans son célèbre ouvrage sur la Théorie de la justice, l’Américain affirme que, pour qu’une société soit juste, il ne lui suffit pas d’assurer une égalité de droit, garantie par la loi, entre les citoyens. Elle doit chercher aussi à institutionnaliser une égalité de fait en faisant en sorte, notamment, que le système scolaire permette effectivement à un enfant issu d’une classe défavorisée d’accéder à une carrière adaptée à son talent. Pragmatique et imprégné des valeurs libérales, Rawls n’exclut pas l’idée qu’il puisse demeurer certaines inégalités socioéconomiques à condition, toutefois, qu’elles permettent la création de plus de richesse collective qui pourra ensuite être redistribuée aux plus démunis.
Selon lui, non seulement l’éducation universellement accessible a un effet favorable sur l’égalité des chances, mais, en outre, il ne peut pas y avoir d’égalité des chances sans éducation universellement accessible.
Dérives
S’il n’était pas décédé en 2002, John Rawls aurait été consterné de voir la dérive de cet idéal aux États-Unis ou au Canada, pense Michel Seymour, alors que les universités sont de plus en plus perçues non pas comme offrant un bien public, mais comme des entreprises privées qui vendent le plus cher possible leurs services perçus comme des biens de luxe à des étudiants eux-mêmes considérés comme des clients cherchant à maximiser leurs revenus professionnels futurs. Cette logique transforme les universités en « usines à diplômes » dont la valeur réelle ne cesse de décroître tout en excluant un nombre grandissant de personnes qui voudraient poursuivre leurs études (et qui auraient le talent de le faire) pour le plus grand bien, oui, de l’économie du savoir, mais aussi de la culture, de la société, et du débat démocratique.
Michel Seymour décrit dans son livre les différentes facettes de ces dérives dans lesquelles le Québec est en train de se laisser entraîner à son tour. Cela montre bien, selon lui, que « l’absence de vision claire relativement aux principes de justice et à leur ordonnancement risque de nous faire passer à côté de ce qui est prioritaire, au profit de ce qui l’est moins », dit Michel Seymour.
Des philosophes dans la rue
De ce point de vue, le professeur ne cache pas la fierté qu’il a eue de voir le rôle joué par plusieurs de ses anciens étudiants de philo durant le Printemps érable. « Au mois de mai 2012, le contraste était saisissant entre ceux qui voulaient débattre et négocier à l’aide d’arguments et ceux qui se braquaient et voulaient forcer les étudiants à rentrer dans le rang », note-t-il dans son livre.
Adepte d’une philosophie engagée, Michel Seymour ne s’est pas privé, au fil des ans, de sortir de sa salle de cours pour défendre la cause de la souveraineté, dénoncer la mauvaise gestion, par l’Université de Montréal, de son pavillon au 1420, avenue du Mont-Royal. Il réserve dans son livre ses critiques les plus virulentes au rôle des recteurs dans le dernier conflit étudiant. « Le conflit est né à cause d’eux, il a perduré à cause d’eux et il a abouti à une répression qu’ils ont appuyée ouvertement, quand ils ne l’ont pas provoquée délibérément. »
Il en appelle toutefois, en cette veille de Sommet sur l’enseignement supérieur, à une « utopie réaliste » comme le faisait son maître à penser John Rawls. « Une utopie qui n’est pas réaliste, ça ne vaut rien. Et un réalisme qui n’est pas éclairé par des idées, ça ne vaut rien non plus. »
De ce point de vue, il dit craindre que les étudiants, qui parlent de boycottage du Sommet ou de nouveau mouvement de grève, ne fassent fausse route. Le ministre peut encore être influencé si les étudiants et leurs alliés jouent bien leurs cartes, estime-t-il. Ils auraient lieu d’être fiers si le Printemps érable débouchait sur l’abolition du projet de loi 78 (devenu loi 12), le gel des droits de scolarité et l’interdiction de recourir à des injonctions pour forcer la reprise des cours au nom du droit politique des étudiants de faire grève. « Ce serait déjà un premier pas très important dans la bonne direction. »
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Michel Seymour, Une idée de l’université, propositions d’un professeur militant, Boréal, 2013, 204 pages.