Universités - La masse salariale de la direction a augmenté de 150 % en 10 ans
![Pierre Duchesne: «Je [vous] demande de ne pas laisser votre regard être hypnotisé par ces 16 à 18 prochains mois [qui vont être difficiles]. Il faut relever la tête et se donner un horizon. Le sommet nous permet de faire ça.»](https://media1.ledevoir.com/images_galerie/nwd_136348_104677/image.jpg)
Sherbrooke — Au moment où les principaux acteurs de la scène universitaire tentent de trouver de nouvelles sources de revenus pour les universités qui sont, selon les recteurs, sous-financées de façon chronique, une nouvelle étude démontre que les salaires de la direction des universités ont augmenté de plus de 150 % au cours de la dernière décennie.
C’est ce qui ressort des états financiers des universités, compilés par la Fédération québécoise des professeurs d’université (FQPPU) et dont Le Devoir a obtenu copie en marge de la rencontre préparatoire sur la gouvernance et le financement des universités qui se tenait à Sherbrooke vendredi.
Ainsi, pour l’année 1997-1998, la masse salariale des recteurs, vice-recteurs et autres directeurs des universités québécoises était de 129 millions. Douze ans plus tard, pour l’année 2008-2009, la somme des salaires atteignait 328 millions, une augmentation de 154 %.
Si l’augmentation est phénoménale, le total de la masse salariale du personnel de direction et de gérance, lui, reste assez marginal par rapport au budget global des universités. Mais qu’à cela ne tienne, c’est « une valeur symbolique, un révélateur », explique Michel Umbriaco de la FQPPU.
Selon lui, l’augmentation des salaires des recteurs et des vices-recteurs « est encouragée par le gouvernement du Québec » depuis près d’une dizaine d’années. « Le gouvernement a dit aux universités : […] on va vous considérer comme des chefs d’entreprise. Alors, les gens ont commencé à dire : si je veux un bon recteur, il faut que je le paye. »
Pour Michel Umbriaco, il s’agit d’un « scandale », dans la mesure où les universités ne sont pas des « organisations marchandes ». Mais la FQPPU déplore surtout l’écart entre la masse salariale des directeurs et des professeurs, qui continue de se creuser de façon importante. Il considère « normal » que les recteurs et vice-recteurs soient payés davantage en raison de leurs responsabilités accrues, « mais de là à dire que c’est des gens qui doivent être payés 3, 4, 5 ou même 6 fois le salaire des professeurs titulaires », cela dépasse les bornes, s’indigne-t-il.
Bien qu’il reconnaisse que certains recteurs peuvent être payés 200 000 $ ou 300 000 $ de trop par année, Michel Umbriaco souligne que ce n’est pas tant l’augmentation des salaires de recteurs qui est problématique que le nombre de nouveaux cadres engagés.
« Ce qu’on nous répond, du côté des universités, c’est que pour gérer la croissance, ça prend plus de monde. Que le gouvernement demande plus de rapports - ce qui est vrai - et des redditions de comptes aux trois mois. Ça prend donc plus de personnel. »
Charte des universités
Cette question de reddition de comptes a été au coeur des échanges lors du forum sur la gouvernance et le financement des universités, qui réunissaient pendant deux jours une centaine d’acteurs gravitant autour du milieu de l’éducation postsecondaire en vue du sommet sur l’éducation qui se tiendra à Montréal les 25 et 26 février prochains.
Plusieurs groupes ont demandé au ministre de mieux encadrer les institutions universitaires. Dans cette optique, la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) a proposé la création d’un Conseil des affaires unies du Québec, une version revue et améliorée de la commission d’évaluation des universités que réclamait la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ).
De son côté, la Fédération québécoise des professeurs d’université (FQPPU) a proposé au gouvernement d’adopter une charte nationale de l’université québécoise qui clamerait « haut et fort et collectivement les valeurs qui fondent l’université ».
Cette idée a également suscité l’intérêt du ministre de l’Éducation, qui y voit un « instrument » de ralliement pour « être dans la vision ».
Les groupes présents se sont également entendus sur la nécessité de revoir la formule de financement des universités, bien que les recteurs estiment toujours que « le problème de sous-financement est de loin plus important que la révision de la formule de répartition ».
Taxer les entreprises
La table de concertation étudiante du Québec (TACEQ) a lancé l’idée de taxer les entreprises, qui profitent du travail des diplômés, pour financer les études supérieures. La TACEQ souhaite bonifier le Fonds de services de santé (FSS), une taxe sur la masse salariale que les entreprises payent déjà pour y inclure l’éducation postsecondaire.
Cette proposition a fait bondir le président du Conseil du patronat du Québec, Yves-Thomas Dorval, avant même que celle-ci n’ait été présentée. « Je sais qu’il y en a qui vont arriver avec la situation des [fonds de services de santé], a-t-il lancé d’un ton exaspéré. Pourquoi on n’augmenterait pas les taxes sur la masse salariale ? Pourquoi on n’ajouterait pas un petit 1 % ? Eh bien, la réponse est là : parce que les employeurs au Québec payent déjà 45 % plus cher que partout ailleurs au Canada en matière de taxes en masse salariale. Il y a une petite limite quelque part ! »
Interrogé sur cette proposition, le ministre Pierre Duchesne a soutenu qu’elle demandait à « être travaillée » puisqu’elle ne suscitait pas l’adhésion d’un grand nombre de participants. Enfin, sur la question des compressions de 124 millions, revenues à maintes reprises dans les conversations ces derniers jours, le ministre n’a pas nié qu’il y aurait de nouvelles compressions pour la prochaine année financière. Mais il refuse de laisser de ces « guerres de chiffres » venir assombrir son sommet sur l’éducation. « Je [vous] demande de ne pas laisser votre regard être hypnotisé par ces 16 à 18 prochains mois [qui vont être difficiles]. Il faut relever la tête et se donner un horizon. Le sommet nous permet de faire ça. »