Pédagogie - «Le dictionnaire unique ne suffit pas !»

Ce texte fait partie du cahier spécial Édition - Journée québécoise des dictionnaires
Non, le dictionnaire numérique ne menace pas l’apprentissage du français, dit la vice-doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Dès le début du primaire, les petits élèves devraient pouvoir utiliser des dictionnaires numériques tout en apprenant à fouiller de leurs petits doigts dans les imposantes versions en papier, selon Pascale Lefrançois. « Personnellement, je suis du genre à donner accès à tout ce qui est possible, mais pas à autrui, résume-t-elle. Quand je veux évaluer l’élève, il peut aller fouiller dans le dictionnaire, mais pas demander à son meilleur ami ! »
Et cela inclut les versions numériques du livre. « Je suis une grande amoureuse des dictionnaires. Les numériques s’imposent, mais, malheureusement, ce n’est pas encore aussi vrai dans les écoles, explique-t-elle. Je suis certaine que vous les utilisez, et moi aussi. Tous ceux qui travaillent avec un ordinateur les utilisent. Mais un élève qui doit écrire une production écrite n’a pas le droit de le faire avec le dictionnaire électronique. Il peut en utiliser un toute l’année, mais il n’y a pas droit à l’examen ! »
Elle ne condamne pas le ministère de l’Éducation - difficile, le virage numérique - mais elle estime que l’école traverse une phase de transition où dictionnaires en papier et virtuel doivent se côtoyer sur les pupitres.
Celle qui a remporté il y a plus de 20 ans le Championnat du monde en orthographe, catégorie junior, à Paris, réfute la croyance que les dictionnaires rendent « paresseux » et qu’il faille les interdire pour réellement évaluer un élève. « Ceux qui vont le plus dans le dictionnaire, ce sont les forts, qui en ont le moins besoin ! Ce n’est pas vrai qu’ils trouvent les réponses dans le dictionnaire sans apprendre. Ceux qui, au contraire, ont des lacunes n’ont pas le réflexe d’aller vérifier ou ne trouvent pas ce qu’ils souhaitent dans le dictionnaire. »
Elle croit que, loin de rendre la rédaction simpliste, le dictionnaire numérique jouit de plusieurs avantages sur la version en papier. Il pourrait même réduire le fossé entre les forts et les faibles. « Par exemple, un élève qui ne sait pas que le mot “ horloge” débute par un “ h” va trouver le mot quand même dans un dictionnaire numérique. Pas dans un dictionnaire de papier. » Une fois qu’il a cette information en tête, parions qu’il s’en souviendra la prochaine fois que ce mot se présentera. « On a le potentiel d’aider davantage les faibles à utiliser le dictionnaire », selon Mme Lefrançois.
Elle-même élevée dans une maison où on trouvait un dictionnaire à chaque étage, elle est une grande utilisatrice des ouvrages numériques tels Antidote. Pas tant pour la fonction de correcteur que parce que « c’est un dictionnaire extraordinaire que les gens ne connaissent pas assez à mon goût. Avec les hyperliens, on a un potentiel que le papier n’offre pas. Les enseignants gagneraient à savoir le faire connaître à leurs élèves ! »
En classe, les enseignants ont trois choix à faire. D’abord : quel produit ? Ensuite, sur quel support - ordinateur, tablette, tableau blanc interactif ? Et finalement, avec quelle approche pédagogique ? « On a beau avoir des iPad tout neufs avec Antidote, ce n’est pas garanti que les enseignants vont amener les élèves à les utiliser comme il faut ! » C’est ce qu’elle s’évertue à apprendre aux futurs enseignants formés à l’Université de Montréal.
Elle ajoute que les professeurs ont le devoir de présenter toute une variété de livres de référence en classe. « Le dictionnaire unique ne suffit pas ! » De papier ou virtuel.
Dès le primaire
Dès la première année, on peut plonger les enfants dans l’univers des dictionnaires numériques. « On peut travailler le sens des mots, apprendre le genre, les sens multiples. Ce sont des fonctions qu’on peut enseigner très tôt. »
Pas nécessaire de mettre un Petit Robert de papier entre leurs mains avant sa version numérique. En fait, propose Mme Lefrançois, pourquoi ne pas faire le contraire ? « On voit des enfants de deux ans jouer avec un iPad, peut-être que ça les attire davantage, le numérique, pour ensuite les amener vers le papier. Il ne faut pas non plus jeter les dictionnaires de papier. L’électronique est rapide, mais, quand on veut creuser un sujet, le papier est encore précieux. Par exemple, les thésaurus, les encyclopédies, l’étymologie, les citations, ce sont des dictionnaires qu’on utilise moins souvent, mais pour réfléchir davantage. Il ne faudrait pas perdre cette richesse. »
D’ailleurs, elle croit que les maisons d’édition tardent un peu à développer, à l’instar de ce qui est offert sur papier glacé et multicolore, des dictionnaires numériques jeunesse. « Sans sacrifier l’information, ça pourrait être plus ludique et plus attrayant », dit-elle.
Jeune, Pascale Lefrançois feuilletait le dictionnaire avec plaisir, découvrant des mots jamais utilisés, des mots rares qui devenaient des amis familiers. « C’était un moyen amusant de me promener dans la langue », raconte-t-elle. Aujourd’hui, elle estime que le numérique est appelé à prendre de plus en plus de place. « Peut-être que la génération montante ne connaîtra pas ce plaisir-là, mais la navigation dans un dictionnaire de papier est différente. La promenade numérique va se faire autrement. Mais, au bout du compte, c’est encore la même langue ! Le dictionnaire numérique est pratique, alors que le papier me donne un plaisir différent. Quand on aime les dictionnaires, on les aime tous ! »
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