UQAM - «Est-il possible d'entendre la forme d'un tambour?»

Michel Bélair Collaboration spéciale
Pour expliquer son travail, le mathématicien Frédéric Rochon prend l’exemple d’une corde de violon: on peut rendre compte de la vibration des ondes sur la corde avec une équation. Mais les choses sont beaucoup plus compliquées qu’il n’y paraît...
Photo: Agence Reuters Stephen Hird Pour expliquer son travail, le mathématicien Frédéric Rochon prend l’exemple d’une corde de violon: on peut rendre compte de la vibration des ondes sur la corde avec une équation. Mais les choses sont beaucoup plus compliquées qu’il n’y paraît...

Ce texte fait partie du cahier spécial Universités - Recherche

À la Chaire canadienne de recherche en géométrie et topologie des variétés, tout est possible. Il suffit de trouver la formule pour le faire: les mathématiciens n'ont-il point résolu l'énigme de la conjecture de Poincaré?

Frédéric Rochon est mathématicien. Au téléphone, cela s'entend tout de suite: sa voix «sonne» méthodique, organisée, sa pensée semble suivre pas à pas une phrase mathématique qui se déploierait entre nous...

Il faut sans doute se chauffer de ce bois pour aborder le type de recherche auquel il travaille: associé à la Chaire canadienne de recherche en géométrie et topologie des variétés — des secteurs où l'UQAM s'est taillée une solide réputation — M. Rochon développe des outils d'analyse pour étudier «les impacts de divers types de singularités dans un espace courbe».

Cela peut sembler singulièrement abstrait ou théorique au commun des mortels, mais rappelons-nous que les planètes, par exemple, sont riches en «espaces courbes» et que les trous noirs font partie des «singularités» les plus célèbres...

Des sphères bosselées

En parlant lentement, comme s'il se préparait déjà pour le cours qui l'attend, notre chercheur souligne d'abord que le lien entre la physique et les mathématiques théoriques est très étroit depuis que Einstein a trouvé la théorie de la relativité au bout de son crayon.

«Ce n'est surtout pas que je sois à la poursuite de la formule qui explique tout, dit-il, mais la géométrie des espaces à plusieurs dimensions permet de réunir des concepts venus d'univers distincts. Un peu comme dans la fameuse formule, E = mc2, qui permet la juxtaposition de données de champs différents... Aujourd'hui, les mathématiciens ont pris l'habitude de se référer à la formule d'indice développée dans les années 1960. Elle réunit les mondes de la géométrie, de la topologie et des équations différentielles.»

Si on voulait illustrer concrètement le cadre et l'importance des recherches de Frédéric Rochon en l'appliquant, par exemple, à la structure de l'univers, c'est un peu comme s'il cherchait à imaginer et à décrire avec des équations de quoi a l'air quelque chose qu'on ne peut pas voir...

M. Rochon parle d'espaces abstraits théoriques dans lesquels il essaie de voir concrètement comment la géométrie d'un espace donné — une sphère bosselée ou une surface aussi inégale qu'une planète — peut affecter la propagation des ondes ou de la chaleur. Quand on aura une formule mathématique qui puisse vraiment rendre compte du phénomène, on pourra le mesurer de façon encore plus précise.

«Les mathématiciens travaillent aujourd'hui avec des espaces sans géométrie ou même parfois avec des géométries uniformisées, poursuit-il. Des outils mathématiques performants nous permettent maintenant "d'enlever les bosses sur les sphères" et de résoudre des problèmes mathématiques jusque-là insolubles. C'est ainsi, en utilisant les équations différentielles et à partir d'une intuition physique, qu'on a pu résoudre l'énigme de la conjecture de Poincaré, sur laquelle les scientifiques butaient depuis le début du XXe siècle.»

Espaces en vibration

Pour expliquer son travail, le mathématicien prend l'exemple d'une corde de violon dont la fréquence des vibrations est déterminée par sa longueur: on peut rendre compte de la vibration des ondes sur la corde avec une équation. Mais les choses sont beaucoup plus compliquées qu'il n'y paraît: on saisit mieux si on fait référence cette fois à la membrane d'un tambour, alors que la vibration dépendra aussi de plusieurs autres facteurs comme la forme, la tension et même le matériau qui compose la surface qui vibre et produit des ondes.

«Comme le formulait Kac en 1966, reprend M. Rochon, on peut se demander s'il est possible d'entendre la forme d'un tambour. À l'écoute, quelles informations obtient-on sur la forme de l'objet qui vibre? Que peut-on déduire sur la forme de cet objet à partir des fréquences qu'il émet? Que sait-on de son volume ou de l'espace dans lequel il est placé? Peut-on même déterminer l'objet lui-même? La réponse est non, mais le champ s'élargit...»

C'est que les outils mathématiques modernes sont de plus en plus performants: Frédéric Rochon travaille par exemple avec des équations qui étudient la fréquence des vibrations dans des espaces de formes non conventionnelles, comme le tore. Il explore aussi avec ses équations des espaces géométriques distincts ayant les mêmes fréquences. «Les chercheurs font de plus en plus d'efforts, explique-t-il, pour déterminer ce qui peut être déduit d'espaces en vibration. En nous attardant ainsi aux vibrations générées par un tremblement de terre, on arrive à mieux comprendre la structure de l'intérieur de notre planète.»

Reste que M. Rochon se consacre surtout à l'analyse géométrique différentielle: il cherche à établir des liens entre la géométrie et la solution des équations différentielles en travaillant dans ce qu'il appelle des «contextes géométriques précis». Ce qui peut l'amener par exemple à aborder la relativité générale d'Einstein... en n'y considérant que l'espace, à l'exclusion du temps. «Ce qui permet une uniformisation riche en possibilités de toutes sortes», conclut-il.

Albert lui-même y plongerait sans doute aussi...

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