Sherbrooke - Comment produit-on de la valeur littéraire?

Pierre Vallée Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Universités - Recherche

La littérature est un domaine complexe. Évidemment, il y a en premier les œuvres, mais il y a aussi tout ce qui les entoure. Et les liens qui unissent tous ces éléments. C'est à ces liens que s'intéresse le professeur et chercheur Anthony Glinoer, de la Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Sherbrooke.

«C'est l'auteur qui produit le texte, mais ce sont les autres qui produisent le livre», souligne Anthony Glinoer, qui pourra poursuivre et approfondir ses recherches grâce à la nouvelle Chaire du Canada sur l'histoire de l'édition et la sociologie du littéraire, qu'il vient d'obtenir en juillet dernier et dont il assume la direction.

D'une durée de cinq ans et renouvelable une fois, cette Chaire de recherche du Canada lui permettra de se constituer une petite équipe de recherche et de lancer de nouveaux projets de recherche. Certains de ces travaux se feront de concert avec le Groupe de recherches et d'études sur le livre au Québec (GRÉLQ), de l'Université de Sherbrooke, avec lequel il collabore déjà. Les recherches d'Anthony Glinoer portent sur la littérature du XIXe siècle jusqu'à nos jours, au Québec, en France et en Belgique.

La sociologie du littéraire

«Dans tous les départements d'études littéraires, il y a deux sphères. La première comprend ceux qui s'intéressent au texte et à son fonctionnement. La seconde regroupe ceux qui examinent des questions comme l'histoire de la littérature ou l'histoire du livre. Mes recherches se situent entre ces deux sphères, ce qui fait que je m'intéresse surtout aux intermédiaires littéraires. Ces derniers peuvent être des éditeurs, mais ils peuvent être aussi des critiques littéraires, des agents littéraires, des institutions, comme les prix littéraires, des bibliothèques et des écoles. Bref, tous ceux qui font le lien entre la littérature et le social. Cela permet de poser des questions comme "pourquoi et comment une institution choisit-elle de constituer une collection?" ou "comment produit-on de la valeur littéraire?" Par exemple, si le livre d'un auteur est placé sur la liste des lectures obligatoires à l'école secondaire, on vient d'accorder par ce geste de la valeur à cet auteur.»

C'est aussi pourquoi Anthony Glinoer s'intéresse aux groupes littéraires, comme les surréalistes, pour n'en nommer qu'un. «Les auteurs de ces groupes littéraires se fréquentent. Est-ce que cette fréquentation exerce une influence au point de transformer les oeuvres?» De plus, ces groupes littéraires peuvent devenir des mouvement sociaux. «Le Refus global est un bel exemple de texte littéraire qui a servi à lever une réaction collective. Voilà pourquoi je m'intéresse aux mots mais aussi aux choses, au texte mais aussi à tout ce qui l'entoure. C'est ce que j'appelle la sociologie du littéraire.»

Des projets de recherche

L'obtention d'une chaire de recherche du Canada permettra à Anthony Glinoer de lancer de nouvelles recherches. «Un de ces projets est de constituer un lexique ou une sorte de dictionnaire des concepts utilisés dans l'approche sociologique de la littérature. Je donne en exemple le concept du reflet. Ce concept veut que la littérature soit un reflet de la société et qu'elle agisse donc comme un miroir.»

Un second projet portera sur la correspondance entre les éditeurs et les écrivains. «Quelle relation s'établit entre les deux? Est-ce que le travail de l'éditeur, qui est de transformer un texte en livre, influence le texte lui-même? Et dans quelle mesure? On pourrait y ajouter la relation entre l'auteur et l'illustrateur. Pourquoi choisir une illustration plutôt qu'une autre pour la couverture d'un livre? La littérature produit des oeuvres d'art, mais elle fabrique aussi des produits qui se vendent sur le marché. Comment négocie-t-on ce rapport entre les deux? Comme on peut le voir, la littérature est aussi un acte collectif.» Cette recherche se fera en collaboration avec le GRÉLQ, à qui l'éditeur Fidès vient de confier ses archives.

L'histoire de l'édition


Il s'est fait, ces années passées, de très nombreuses recherches sur l'histoire de l'édition, plusieurs d'entre elles ayant été menées par le GRÉLQ. Par contre, il existe toujours, selon Anthony Glinoer, des zones qui n'ont pas été étudiées et auxquelles il s'intéresse. «Un des sujets de l'heure sur lequel il faut se pencher est celui de l'édition électronique. Il s'agit de la troisième révolution de la littérature, la première ayant eu lieu avec l'invention de l'imprimerie et la seconde avec l'avènement de la révolution industrielle.»

Autre sujet qui fascine Anthony Glinoer: comment parle-t-on de littérature dans les livres? «Le monde de la littérature existe dans la littérature, surtout dans les romans, où l'on trouve des personnages reliés au monde littéraire, comme des écrivains.» Il donne en exemple L'illusion perdue, de Balzac, qui trace le parcours d'un jeune poète arrivé à Paris qui connaît d'abord un certain succès avant de tomber dans la déchéance. «Plus près de nous, il y a le roman Je suis un écrivain japonais, de Dany Laferrière, où il est question, entre autres, de la vie d'un écrivain et de son rapport avec son éditeur. J'ai recensé, au Québec et en France, 200 oeuvres où le monde littéraire est présent.»

Anthony Glinoer tient à souligner «qu'il y a toujours une perspective historique à mon travail de recherche et un effort pour bien cerner ce qu'est la littérature. Qu'est-ce qu'on comprend et qu'est-ce qu'on entend quand on parle de littérature? Je veux bien défendre la littérature, mais, avant de le faire, il faut savoir ce que c'est et comment ça fonctionne.»

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Collaborateur du Devoir

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