Concordia - Sur les traces des Nobel Pople et Kohn

Claude Lafleur Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Universités - Recherche

En chimie, rien ne va de soi. Et si on aborde la modélisation moléculaire, tout calcul devient infiniment grand! Malgré les difficultés, Gilles Pesherbe demeure un fier «chimiste théorique».

Les ingénieurs qui conçoivent un avion, une centrale nucléaire ou un pont commencent d'ordinaire par faire des simulations sur ordinateur. La modélisation numérique est aujourd'hui chose courante. Ce n'est pourtant pas le cas lors de la mise au point de médicaments et de nouveaux matériaux. On procède alors à tâtons, par essais et erreurs. Pourquoi? «Parce que les équations avec lesquelles on a affaire sont plus compliquées que dans les autres domaines», répond Gilles Pesherbe, directeur du Centre de recherche en modélisation moléculaire (CERMM) de l'Université Concordia.

Voilà qui étonne. Il est plus facile de simuler le déplacement d'un avion dans l'air ou un pont soumis aux intempéries que l'interaction de molécules chimiques. «Il est en fait beaucoup plus difficile de résoudre un problème d'atomes autour desquels tournent des électrons que ce qui se passe avec des objets macroscopiques, confirme l'ingénieur chimiste. C'est aussi beaucoup plus facile de valider les méthodes de simulation de gros objets, puisqu'on peut facilement faire des tests et les comparer aux simulations. Tandis qu'en chimie ce sont des systèmes infiniment petits où les équations sont fort complexes.»

De la chimie purement théorique

C'est ainsi que l'équipe du CERMM développe une nouvelle branche de la chimie: la chimie numérique. Fait inusité, leurs laboratoires ne contiennent aucune éprouvette ni appareil de mesure, et que des ordinateurs! «Nous avons simplement des desktops et des laptops qui sont reliés à de superordinateurs de calcul, rapporte le directeur. Nous sommes purement théories et simulations.»

«La chimie numérique a vraiment pris son envol dans les années 1990, indique Gilles Pesherbe en rappelant fièrement que le prix Nobel de chimie a été décerné en 1998 à John Pople et Walter Kohn. «Ce sont les pères fondateurs de la chimie quantique, l'une des branches de la chimie numérique, dit-il. On pourrait même dire que cette discipline a pris son essor dans les années 2000 avec la publication de revues spécialisées en la matière.»

Coïncidence, c'est à peu près le parcours de Gilles Pesherbe. Originaire de la France, il a fait ses études d'ingénieur chimiste à Lyon, avant de compléter son doctorat et postdoctorat en chimie-physique théorique aux États-Unis et d'aboutir en 1998 à l'Université Concordia. «Étant un Français, dit-il, j'avais envie de vivre en français mais de travailler en anglais, la langue de la science. Le Québec m'a semblé être une très bonne option. J'avais aussi envie que mes enfants grandissent dans un environnement francophone. C'est ce qui m'a motivé à venir à Montréal, où je me plais d'ailleurs beaucoup.»

Il fait ainsi partie de la nouvelle génération de chercheurs qui se passionnent pour la chimie purement théorique. «Ce que nous cherchons avant tout, dit-il, c'est de développer des outils informatiques qui seront utilisés par une vaste communauté. Nous désirons contribuer à l'avancement des connaissances en parvenant à prédire les propriétés de nouveaux matériaux. On aimerait par exemple un jour concevoir des matériaux à l'aide de simulations avec autant de précision que le font les ingénieurs qui dessinent les avions. Mais nous n'en sommes vraiment pas là!»

Néanmoins, en une vingtaine d'années, la chimie numérique a fait des progrès remarquables, poursuit le chercheur, notamment dans la mise au point de médicaments. «Auparavant, les biochimistes procédaient par essais et erreurs, alors qu'aujourd'hui, grâce aux outils développés en chimie numérique, on arrive à sélectionner, parmi des millions de composés possibles, une centaine d'entre eux. Il faut ensuite procéder par expérimentation. Mais cela permet de déblayer le terrain considérablement.»

«Nous ne sommes donc pas encore en mesure de prédire à 100 % les réactions chimiques, observe le directeur du CERMM, mais nous progressons bien. Nos modèles au niveau moléculaire sont assez bien compris, mais la difficulté, c'est de résoudre les équations qui les décrivent.»

Comprendre le fonctionnement de la matière

Les spécialistes du Centre de recherche en modélisation moléculaire travaillent à divers types d'application. Entre autres, en collaboration avec des chercheurs expérimentateurs de l'École polytechnique de Paris, ils tentent de trouver, à l'aide de simulations, les propriétés optiques de nouveaux matériaux. «Il s'agit de matériaux qui pourraient servir à fabriquer des diodes électroluminescente (des DEL) qui seraient très peu chères et extrêmement robustes, peut-être même plus robustes que le diamant, mais ça reste à confirmer», indique Gilles Pesherbe.

«Nos collègues ne comprennent pas tout à fait comment ces matériaux fonctionnent, poursuit-il. Nous, nous faisons de la modélisation pour tenter de comprendre la structure de ces matériaux et d'expliquer ce qui se passe expérimentalement. À terme, on espère parvenir à guider le développement de matériaux dérivés. Autrement dit, plutôt que d'essayer de modifier expérimentalement ces matériaux, si on parvenait à prédire les résultats en faisant des calculs, on aiderait grandement les choix que devront faire les expérimentateurs.»

Par ailleurs, l'équipe du CERMM cherche à comprendre comment l'oxygène et l'oxyde nitrique se diffusent à l'intérieur de protéines telles que l'hémoglobine (qui transporte l'oxygène dans le sang et régularise la pression sanguine). «Personne ne comprend comment cela se fait, indique M. Pesherbe. On ne comprend pas comment ces nanobiomachines — un nouveau terme très à la mode! — fonctionnent à l'échelle moléculaire. Or, le jour où on comprendra ce mécanisme, les compagnies pharmaceutiques pourront s'en servir pour concevoir de nouveaux médicaments.»

L'équipe de Gilles Pesherbe espère ainsi accélérer la création de matériaux et de médicaments. «Nous pouvons déjà nous occuper de quelques pièces du puzzle, dit-il, et on espère un jour résoudre tout le casse-tête!»

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Collaborateur du Devoir

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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