L'école des suspendus

Anass, Cristofer et Stéphanie, trois des jeunes qui fréquentent Alternative suspension au YMCA de l'avenue du Parc, à Montréal.
Photo: - Le Devoir Anass, Cristofer et Stéphanie, trois des jeunes qui fréquentent Alternative suspension au YMCA de l'avenue du Parc, à Montréal.

Commençant dès aujourd'hui, les Journées de la persévérance scolaire se tiendront toutes la semaine dans 14 régions du Québec. Le Devoir présente le cas d'Alternative Suspension dont la mission est de prendre en charge les élèves suspendus par leur école.

«Le prof m'avait donné une retenue sans raison et je lui ai crié après. À la fin du cours, il m'a dit: "Je vais régler ton cas." Je me suis levé et je lui ai demandé comment il allait faire ça. Il m'a sorti.» C'est ainsi qu'Anass, jeune Marocain en deuxième secondaire, s'est retrouvé suspendu pour quelques jours de l'école secondaire Jeanne-Mance. Cristofer, lui, confesse avoir «niaisé». Stéphanie, qui a la provocation facile, a dérangé pour un peu d'attention. On lui a aussi montré la porte pour cinq jours.

Suspendre? D'accord. Lorsque la communication est rompue, que le lien de confiance est ténu, bref, qu'il y a crise. Mais laisser aller quelques jours ces jeunes en mal d'école n'est-il pas contraire à ce qu'on voudrait pour eux, soit les garder à l'école le plus longtemps possible? «La suspension sans rien faire, c'est un no man's land, une opportunité perdue», constate Étienne Pagé, directeur d'Alternative suspension, un programme pour contrer le décrochage scolaire au centre Y du Parc que fréquentent Anass, Cristofer et Stéphanie. «C'est un échec pour le parent, qui doit trouver quoi faire de son enfant pendant qu'il travaille, et c'est un échec pour le jeune qui risque d'aller traîner dans les rues.»

Une idée du YMCA

Créé en 1999, Alternative suspension, c'est la bonne idée qu'ont eue les YMCA du Québec, en partenariat avec les directions d'écoles. On propose aux élèves récalcitrants de fréquenter cette «école des suspendus» pour des séjours allant de trois à cinq jours. En fait, ils n'ont pas le choix: c'est obligatoire. Tandis que l'avant-midi est consacré aux travaux à faire exigés par les écoles, l'après-midi est réservé à des ateliers sur l'estime de soi ou l'intimidation, par exemple. «On ne voit pas la suspension comme une punition, mais comme une opportunité. On prend les élèves en période de crise et on les met en lien avec un adulte significatif», explique George Kalimeris, directeur national d'Alternative suspension. «Certains nous disent: "Que pouvez-vous faire en si peu de temps?" On leur répond qu'on donne aux jeunes de l'attention et les moyens de s'exprimer. Je vous mets au défi de trouver un ado qui a passé 30 ou 40 heures de sa semaine avec un adulte significatif autre qu'un parent», poursuit M. Kalimeris.

C'est ainsi qu'Alternative suspension «sauve», avec beaucoup d'efforts et un peu de chance, des centaines d'élèves du décrochage chaque année. Dans tout le Québec, 15 points de services, dont neuf à Montréal, reçoivent les jeunes en difficulté. L'initiative a fait des émules ailleurs au Canada et même en banlieue parisienne. L'objectif est toujours le même: créer un lien significatif avec l'élève, lui faire prendre conscience de sa situation et le guider dans ses choix.

George Kalimeris insiste: Alternative suspension, qui est financée en grande partie par les commissions scolaires, s'inscrit en continuité avec l'école. Elle permet aussi de remettre dans le coup les parents qui auraient rendu les armes. «On appelle les parents chaque soir pour leur raconter ce qu'on a fait avec leur enfant. On met l'accent sur le positif», indique M. Kalimeris. «Notre projet c'est aussi une façon de recréer le lien parent-école, là où il y a rupture», ajoute pour sa part, M. Pagé.

L'école de la deuxième chance

«Ici, on travaille dur, mais on peut relaxer. À l'école, on n'a pas le temps de se libérer. Tu as tellement de pression que tu veux tout lâcher», confie Cristofer. «La directrice ne m'a pas écouté, elle n'a fait qu'écouter la professeure. Et quand ils ont appelé mon père, il a cru les profs», renchérit Anass.

Leur redonner l'attention et le suivi qui leur manquent parfois cruellement. C'est aussi ça, l'objectif d'Alternative suspension. «Ils ont le sentiment de ne pas être écoutés, de pas être respectés et, dans la masse, de ne pas exister. Ils ont besoin de ne pas obéir pour se sentir valorisés», souligne Julien Hamelin, l'intervenant au YMCA du Parc. Des garçons, pour la plupart — même si environ 30 à 40 % de filles fréquentent le programme —, ces jeunes ont souvent une faible estime d'eux-mêmes, faute de soutien parental. D'autres, souvent issus de familles immigrantes, subissent la pression de leurs parents qui ont tout sacrifié pour qu'ils réussissent mieux qu'eux.

Le but n'est pas de faire la morale aux jeunes, insiste M. Pagé. «On leur fait comprendre qu'ils sont face à un mur et qu'il arrive peut-être plus vite qu'ils ne le pensent», note-t-il. «On leur dit que c'est peut-être leur dernière chance et que si on a pris la peine de transférer leurs travaux et de les amener ici, c'est qu'on pense qu'ils sont encore capables de continuer l'école. C'est à eux, ensuite, de prendre la décision.»

Une fois le séjour complété, le retour à l'école est immédiat. Parents, enseignants, directeurs et intervenants sont parties prenantes du processus de réintégration en classe. Mais retourner à l'école après été suspendu n'est pas toujours facile. Il faut éviter de retomber dans ses vieilles habitudes et tenter de recréer les liens qui ont été rompus. Stéphanie admet avoir bien mieux travaillé à Alternative suspension qu'à l'école Père-Marquette, où elle complète sa première secondaire. «J'ai bien plus avancé ici que dans tout le début de mon année. J'aime bien mieux ça ici!», lance la douce rebelle. Pourtant, cela ne doit pas être leur place, assure Étienne Pagé. «On dit toujours qu'un séjour réussi, c'est un jeune qui a aimé ça mais qui ne veut pas revenir», conclut-il, sourire en coin.

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