L'illusion des classes non mixtes

Séparer les garçons et les filles à l’école ne garantirait en rien la performance des premiers. Pire, laisser les jeunes messieurs entre eux les rendrait plus agressifs, voire misogynes.
Photo: Agence France-Presse (photo) John Macdougall Séparer les garçons et les filles à l’école ne garantirait en rien la performance des premiers. Pire, laisser les jeunes messieurs entre eux les rendrait plus agressifs, voire misogynes.

Modèles d'enseignants masculins, programmes sport-étude, classes non mixtes et formation de clubs de lecture «réservés aux gars». Si les solutions pour hausser la réussite scolaire des garçons abondent, aucune n'a encore véritablement fait ses preuves. Et voilà qu'une nouvelle étude ontarienne sur les classes non mixtes vient dissiper les illusions qu'on avait sur cette mesure.

Ainsi, séparer les garçons et les filles à l'école ne garantirait en rien la performance des premiers. Pire, laisser les jeunes messieurs entre eux les rendrait plus agressifs, voire misogynes. «Certains garçons réussissent bien», nuance Christopher Greig, professeur adjoint à la Faculté d'éducation à l'Université de Windsor, qui a mené la recherche. «Mais c'est surtout les filles qui profitent de cette séparation», a-t-il ajouté.

Alors que plusieurs écoles au Canada et en Amérique du Nord reviennent à la séparation des garçons et des filles au primaire, M. Greig a constaté qu'il existait peu d'analyses historiques sur les classes non mixtes. Pourtant, de nombreux projets-pilotes ont été menés par le passé. Dont un, entre 1966 et 1972, à l'école primaire Flintridge à Windsor, qui a servi de cadre pour l'étude qui a été publiée dans la Educational Review et qui sera présentée dans le cadre du congrès de la Fédération canadienne des sciences humaines, qui s'ouvre demain à Fredericton. «L'école avait, autant que possible, embauché des hommes pour enseigner aux garçons et développé un programme plus masculin», a indiqué M. Greig.

À partir d'entrevues des administrateurs et des professeurs qui avaient à l'époque fait partie du projet ainsi que de l'analyse de certaines politiques ministérielles, de rapports annuels de commissions scolaires et de reportages dans les médias, le spécialiste de l'éducation des garçons a pu dresser le bilan de cette expérience, en réalité un constat d'échec. «Le problème n'en est pas un de genre, soutient le chercheur. En ne s'attardant qu'à ce critère, on passe à côté de la complexité du problème.»

Une vision trop stéréotypée

Car, de plus en plus, la littérature scientifique suggère que les problèmes de réussite des garçons sont plutôt d'ordre socioéconomique et racial que véritablement liés au genre. Christopher Greig s'inquiète de la généralisation de l'insuccès, qui ne concerne pas tous les garçons. «La question qu'il faut se poser, c'est: "Quels sont les garçons qui ont des problèmes?" et non pas: "Pourquoi les garçons ont-ils des problèmes?"», a-t-il insisté.

Non pas que les «boys clubs» et les activités entre garçons, comme la pratique de certains sports, soient à proscrire. Mais le chercheur s'inquiète de l'image et des valeurs qui sont véhiculées dans ces clubs sélects pour tenter de stimuler l'intérêt des garçons à l'école. «Le problème avec les stratégies proposées actuellement, c'est qu'elles viennent avec une certaine promotion de la masculinité traditionnelle», note le chercheur. Le bien-fondé des «role models» n'est pas à discuter. Mais quelle est l'image qu'ils projettent? s'interroge-t-il.

Le chercheur déplore également le nivellement par le bas engendré par l'implantation de certaines mesures pour retenir les garçons sur les bancs d'école. «On mise beaucoup sur le sport pour les garçons et, quand on commence à les initier à la littérature, c'est avec des textes plus faciles, moins riches en métaphores, de moins grande qualité. C'est vraiment avoir de faibles attentes envers les garçons. Pourquoi ne leur donnons-nous pas le meilleur?»

Aux États-Unis, les écoles non mixtes sont de plus en plus populaires. Selon la National Association for Single-Sex Public Education, plus de 400 écoles publiques offrent maintenant une éducation non mixte, comparativement à 11 en 2002. Au Québec, outre pour les partisans de l'Action démocratique du Québec (ADQ) qui, en 2006, avaient prôné le retour de la ségrégation dans les écoles, l'engouement est moindre.

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