La Déséducation, une websérie en 16 épisodes - Le coup de gueule d'un enseignant désillusionné

Trois ans après avoir fait le saut dans le système d'éducation, l'enseignant Mathieu Côté-Desjardins y vit déjà une grande désillusion. Il en a fait une série de 16 webisodes qui seront diffusés sur Internet au courant des prochaines semaines. Et il assure qu'il n'a pas tout dit.
La Déséducation, c'est une websérie signée Mathieu Côté-Desjardins, un jeune enseignant de 26 ans originaire de Rimouski. Mais c'est d'abord un cri d'alarme qui a des allures de coup de gueule. Une longue tirade Web sur la déliquescence d'un système d'éducation qui l'a profondément déçu, choqué, blessé. Ou, comme lui a dit une source au ministère de l'Éducation, un ouragan de force 8 qui promet de déranger partout où il passe. «J'aurais aimé ne pas faire ce travail documentaire», explique le jeune homme charismatique qui a les idées claires et les pieds bien plantés sur terre. Mais cela lui est apparu comme une nécessité.Jeune étudiant à l'Université du Québec à Rimouski, il remettait en question le système et tentait de convaincre ses camarades de classe de faire un documentaire sur le milieu. «J'étais, en quelque sorte, le mouton noir», raconte-t-il. Le nivellement par le bas l'a vite terrassé et les cours qui ne correspondaient pas à la réalité du terrain ont eu raison de sa démotivation. Bref, la formation des maîtres n'était pas du tout à la hauteur. C'est d'ailleurs le sujet du premier de 16 webisodes qu'il diffusera tous les jeudis sur le site www.ladeseducation.ca et dont le lancement aura lieu ce soir, à Montréal.
Entamée à l'université, la réflexion du jeune enseignant s'est poursuivie lorsqu'il a été confronté au milieu, puis lors d'un arrêt de travail l'an dernier, dont il a profité pour démarrer son projet tourné aux quatre coins du Québec et autofinancé à une hauteur de 65 000 $. Le néologisme «déséducation» élaboré par le philosophe Jean Bédard plaisait à Mathieu Côté-Desjardins.
«On parle de désinformation lorsque des images mentent. On parle de déséducation lorsqu'un enseignement fausse le regard lui-même. La déséducation installe des lunettes permanentes qui déforment le regard», explique le jeune enseignant à la Commission scolaire de Montréal (CSDM). Et il en rajoute. «C'est la propagation d'une ignorance programmée et structurée pour tenir les personnes en état d'inconscience.»
Le pouvoir du Web
Le public intéressé pourra visionner des épisodes d'environ dix minutes sur les parents, ou encore l'inertie des enseignants. À l'insu du principal intéressé, le propos antiréforme qui s'est dessiné ne fait pas dans la dentelle. Mais ce Michael Moore du monde de l'éducation — sans compromis sur la vérité, assure-t-il, même s'il ose la fiction — assume. «J'avais rencontré Marcel Simard et il m'avait dit que ça prenait une trame dramatique si je voulais avoir plus de visibilité que le Canal Savoir. Mon film n'aurait pas eu cette force-là si Marcel n'avait pas été là», reconnaît-il en rappelant que le film est dédié au cinéaste qui s'est suicidé en mars dernier. «J'aurais aimé qu'il le produise. Mon film, c'est un hublot sur le Québec.»
N'empêche, la vision est celle de l'auteur, introduite au «je» et qui témoigne de son parcours personnel, mais elle est appuyée par le discours d'enseignants de tous les niveaux, d'experts, de pédagogues, de politiciens, de sociologues et d'animateurs. C'est ainsi qu'on y retrouve, entre autres, les commentaires des animateurs Benoît Dutrizac et Gilles Proulx, des philosophes Jean Bédard et Georges Leroux, de la politicienne Françoise David, du pédiatre Gilles Julien et de l'ancien commissaire scolaire Robert Cadotte. Au final, beaucoup de «têtes grises», peu de femmes — plus réticentes à parler, selon lui — et pas d'enfants, car il est devenu trop difficile de filmer dans les écoles sans l'autorisation des parents.
Mais si chacun des petits court métrages peut avoir l'apparence d'un banal «show de chaises», on obtient plutôt des films joliment montés et dynamisés par une musique originale et de rigolos dessins d'Éric Angelilo, animés par Bonzaï animation. La touche finale de Christopher Langston aux commandes des effets 3D (Motion Graphics) fait du tout un intéressant produit qui a le mérite de poser de bonnes questions.
De la critique aux solutions
Les huit premiers webisodes dresseront un portrait du milieu, surtout des parents et du concept de la famille. «On va carrément se poser la question "pourquoi on fait des enfants"», a-t-il dit en se demandant si ce n'est pas la suite logique dans notre société de consommation. Et pourtant, insiste-t-il, c'est pour les enfants qu'il mène cette croisade, caméra au poing. «Plus personne n'est plus là pour eux. C'est la raison pour laquelle je suis encore là», soutient-il.
Les huit derniers se concentrent davantage sur les solutions. «Je veux renouer avec la communauté, je veux qu'on soit constructif.» Même si Mathieu Côté-Desjardins ne nie pas qu'il souhaite aussi choquer, provoquer. «Les médias n'ont même pas tous de section éducation. On ne vote pas aux élections scolaires. Ça montre la faible importance de l'éducation, se désole-t-il. Je veux qu'on en parle dans les bars, dans les cafés. Là, on laisse tout aux mains des spécialistes et ça nous arrange. Alors que pourtant, ça nous concerne tous.»
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Rectificatif du 5 novembre 2010
Il aurait fallu lire que le réalisateur de la websérie La Déséducation a initié son projet en 2008 et non en 2009, comme le texte le laissait supposer.