100 ans d'éducation au Québec - L'école en trois temps: 1910, 1960, 2010

Quelque 4000 écoles de rang coloraient toujours le paysage québécois dans les années 1940.
Photo: Omer Beaudoin -– Fonds du ministère de la Culture et des Communications Quelque 4000 écoles de rang coloraient toujours le paysage québécois dans les années 1940.

Nous avons déjà souligné 100 ans de vie politique et d'économie au Québec. Dans le cadre du centenaire du Devoir, au tour de l'éducation, cette autre pulsation de la société, d'être aujourd'hui scrutée. Nous vous offrons un cahier spécial (cahier G) qui explore un siècle d'histoire du réseau scolaire québécois, des petites écoles des années 1900 jusqu'à la mise au monde spectaculaire proposée par la réforme Parent. Le mardi 28 septembre, Le Devoir et l'Institut du Nouveau Monde tiendront à Québec une table ronde sur les moments charnières de ces 100 ans, en compagnie de panélistes experts, tous acteurs du monde de l'éducation.

«Mains comme ceci», lance mère Maria de Luz à son groupe d'élèves en plaçant ses paumes l'une contre l'autre, en prélude à la prière. Dociles, les petites filles de six ans s'exécutent, puis lèvent les yeux vers l'icône de la Vierge Marie, placée sur un mur à l'arrière de la classe.

Pas un bruit. Mère Maria de Luz brise le silence. «C'est la leçon de catéchisme. Bon Jésus, bénissez-nous. Marie ma Bonne Mère, aidez-nous à bien comprendre.» Dans ce document d'archives conservé par Radio-Canada, la leçon porte sur «la toute-puissance de Dieu». Les fillettes répondent «Oui, mère», ou «Non, mère» à l'unisson à chacune des questions de leur institutrice.

Début du XXe siècle. L'école québécoise est sous domination religieuse. Quarante pour cent du personnel enseignant est religieux. Le catéchisme compose une large part de l'enseignement prodigué aux enfants, aux côtés de la lecture, l'écriture et l'arithmétique.

Les Filles de Caleb d'Arlette Cousture ont marqué l'imaginaire québécois; certains peinent à imaginer qu'on ait pu marcher plusieurs kilomètres dans le blizzard pour aller à l'école de rang, chauffée par la maîtresse! À cette époque, petits et grands sont parfois divisés en deux groupes, à qui l'institutrice enseigne à tour de rôle. Les malcommodes goûtaient à la «strappe» sur les doigts. C'était le temps où l'autorité, un concept aujourd'hui un peu délavé, avait toujours résonance.

En 1911, le vicaire apostolique du golfe Saint-Laurent (la Côte-Nord), Gustave Évêque, écrit au surintendant de l'Instruction publique afin de décrire l'état des écoles de son district. Sur «700 milles de littoral laurentien», il compte 17 écoles: «Six bonnes, quatre passables, sept misérables», écrit-il, déplorant l'abandon dans lequel on laisse certains villages, complètement coupés du reste du monde.

«On tient à avoir une école, mais les parents ne s'attachent pas assez à suivre leurs enfants, à les faire travailler à la maison, à se rendre compte de leurs progrès, à s'assurer s'ils sont exacts à fréquenter la classe», écrit M. Évêque. Il déplore en outre la faible rétribution des institutrices — la majorité reçoit 100 $ par année, mais cinq sont à 30 $, et logées chez l'habitant: «Si les salaires étaient plus élevés, le personnel de l'enseignement se renouvellerait moins souvent et les progrès intellectuels seraient à coup sûr plus satisfaisants.»

Dans leur Brève histoire des institutrices au Québec de la Nouvelle-France à nos jours (Boréal, 2004), les historiennes Andrée Dufour et Micheline Dumont rappellent la précarité dans laquelle travaillaient ces maîtresses d'école, des célibataires qu'on congédiait dès qu'elles se mariaient, et ce, jusque dans les années 1960! «Les institutrices sont victimes de discrimination sur les plans de la formation, du salaire, des pensions, des lieux de travail, des promotions. La situation prétendument objective — jeunesse, manque d'expérience, célibat, formation inadéquate, absence de responsabilités — justifie, prétend-on, les bas salaires.»

La «Révolution»

Poussée par l'essor industriel et un baby-boom, l'école se remplit au milieu du XXe siècle. Elle est devenue obligatoire en 1943. 4000 écoles de rang colorent le paysage québécois en ces années. Les institutrices qui y oeuvrent dans des conditions encore difficiles font face à une «clientèle» homogène qui n'a rien à voir avec la faune qui grouille aujourd'hui dans le milieu scolaire. Les familles sont toutes à peu près figées dans un modèle similaire; la religion est omniprésente, et ce, jusque dans les programmes scolaires: la moitié des 700 pages guidant les sept années du primaire est consacrée à l'enseignement religieux. Même en mathématiques, on calcule des chapelets, relatent Andrée Dufour et Micheline Dumont dans leur livre.

Dans le vent de Révolution tranquille qui a donné naissances aux structures scolaires telles qu'on les connaît, l'école est appelée à changer, en accord avec la société qui la fait vivre, tant élèves, que parents et institutrices. Condamnées au célibat si elles voulaient conserver leur travail, les enseignantes se marient désormais. Dans les cercles intimes, on cause contraception et laïcisation.

En 1968, l'Alliance des professeurs de Montréal présente un mémoire à la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada, qui s'intitule Les Valeurs transmises par l'éducation. «L'enseignante, comme les autres femmes du Québec, d'ailleurs, n'a pas été préparée à assumer son rôle social. [...] L'image de la femme que l'on a inculquée aux Québécoises de 40, 30 et même 20 ans, c'est l'image d'une femme visant en vase clos, l'image de la femme au foyer, servante de ses enfants et de son mari, l'image d'une femme douce, patiente et soumise.»

À cette époque, l'élève s'adaptait à l'école. À défaut de quoi, il en sortait rapidement. On l'a oublié peut-être, mais les taux de décrochage dans les cours classiques avoisinaient les 70 %. Une centaine de vaillants inscrits en Éléments latins n'étaient plus que 25 ou 30 en Philosophie II en bout de course. Pour sortir entre autres de ce carcan, c'est un appel à la «polyvalence» de l'école que les auteurs du rapport Parent lancent donc au début des années 1960. Il a donné forme à l'école moderne.

Modèle éclaté

Désormais, ce n'est plus «mère» qui est l'avant de la classe, mais «madame Marie-Josée», pourquoi pas. La leçon de catéchisme a fait place au cours Éthique et culture religieuse, qui n'a rien de confessionnel. Les écoles de village, qu'on ouvrait à l'époque dès que se pointaient 20 élèves avides d'apprendre, sont menacées de fermeture, car notre démographie chancelle.

Les communautés culturelles sont maintenant omniprésentes dans les écoles, particulièrement à Montréal, dont la clientèle de certains établissements est exclusivement composée d'enfants d'origine multiethnique. Les élèves, à l'ère de l'Internet, laissent le cellulaire au casier ou se «textent» des messages d'un pupitre à l'autre. Les familles éclatées sont légion. Partout, des parents travailleurs compulsifs «consomment» l'école, sur laquelle le marché du travail, en manque de main-d'oeuvre, exerce une pression constante. Les enfants rois défilent la liste de leurs «droits» en riposte à tout mouvement d'autorité. Les enseignants, certains eux-mêmes issus de la génération des «moi je», se plaignent de faire plus de «gestion de classe» que d'enseignement.

L'école, désormais, s'adapte aux élèves. Elle tente du mieux qu'elle peut de répondre aux besoins particuliers de tous. Mais les profs s'épuisent à la tâche et dénoncent le fait qu'on leur demande l'impossible: enseigner à la carte, comme le voudraient certains parents, mais aussi s'adapter aux nombreuses difficultés d'apprentissage des enfants, en hausse constante.

La réforme de l'éducation, lancée au début des années 2000 dans le but précis de rehausser le niveau des apprentissages, est toujours remise en question, car les taux de réussite ne se sont pas améliorés — comme un boulet, le Québec porte ce lourd 30 % de décrochage. On reste perplexes notamment devant l'échec des garçons, qu'on tente d'intéresser autrement à l'école.

Un forum doit scruter cet automne, l'espace d'une journée, la lancinante question de l'adaptation scolaire, que plusieurs associent à l'un des plus grands errements de l'école moderne. Peu importe l'époque, l'école restera finalement toujours un miroir de la société qui la mène.

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