Génération réforme (2) - Cours d'ECR: les enseignants «marchent sur des oeufs»

C'est le sprint final pour les élèves du secondaire avant les vacances d'été. Tous les regards sont tournés vers ceux de 5e secondaire, qui constituent la première cohorte de diplômés 100 % réforme. Deuxième d'une série de textes sur le Renouveau pédagogique.

On l'a accusé de tous les torts. Celui d'attiser la haine, de raviver la controverse alors qu'il a prétendument été conçu pour les apaiser. Pur produit du Renouveau pédagogique, le cours d'Éthique et culture religieuse (ECR) déchaîne les passions depuis sa conception jusqu'à son introduction dans les écoles du Québec en 2008.

Enseignant de philosophie dans les cégeps puis d'histoire et du cours d'Enseignement moral et religieux au secondaire, Jacques Tobin reconnaît d'emblée le potentiel explosif d'un tel cours. La politique, la religion et le sexe, susceptibles de se retrouver dans son contenu, sont trois thèmes qui sèment la chicane au Québec, croit ce médiéviste et théologien de formation. «Il y a des éléments du programme qui sont très chargés émotionnellement et existentiellement», note cet enseignant du cours d'ECR à l'école secondaire Marguerite-De Lajemmerais, une école publique réservée aux filles dans l'est de Montréal.

Aborder les questions des menstruations ou de la séduction devant un auditoire plutôt multiethnique lui a valu des reproches de ses élèves qui l'ont sommé de se mêler de ses affaires. Et M. Tobin a suscité de plus vives réactions encore à la présentation du film C.R.A.Z.Y., de Jean-Marc Vallée, dont il s'est servi pour parler de l'homosexualité et des valeurs du Québec dans les années 60-70-80. «Deux gars qui s'embrassent, c'était pour elles "dégueulasse"», a raconté M. Tobin, en admettant avoir reçu quelques appels téléphoniques de parents.

Traiter des questions religieuses dans un tel contexte plurireligieux est encore plus délicat. Il s'est heurté à de fortes réticences lorsqu'il a présenté en classe le récit d'Adam et Ève, comme un mythe fondateur. «J'ai souvent affaire à des Haïtiennes qui sont "évangélicales". [...] Ce qui anime leurs Églises, c'est une conception fondamentaliste des textes sacrés. C'est la même chose chez mes élèves musulmanes. Elles croient qu'on descend d'Adam et Ève alors que je leur dis que c'est de la pure littérature», souligne l'enseignant de 62 ans qui est à quelques jours de la retraite. «Je suis devant une morale fondamentaliste qui est sexiste et homophobe. Imaginez la confrontation.»

Jeune enseignant d'ECR à l'école Louis-Philippe Paré, à Châteauguay, Vincent Morissette n'a pas une telle hétérogénéité dans ses groupes-classes de 4e secondaire. Mais il reconnaît néanmoins devoir user de beaucoup de prudence. «Quand tu parles d'une religion qui n'est pas la tienne, tu as l'impression de constamment marcher sur des oeufs», soutient-il. «Tu ne veux pas trop faire d'activités que les jeunes pourraient mal interpréter. Je me demande parfois si je vais avoir le coup de fil d'un parent qui pense que je vais endoctriner leur enfant. Au jeu du téléphone arabe, on ne sait jamais ce que les parents peuvent interpréter», a-t-il ajouté.

Un cours pluraliste


Jacques Tobin donne partiellement raison aux parents qui craignent que le cours d'ECR ne contribue à un certain égarement de la foi de leur enfant. «Le cours nous plonge dans le pluralisme. Mais avec raison», a indiqué l'homme qui milite pourtant dans le camp de la laïcité «tout court» aux côtés de la députée Louise Beaudoin et du sociologue Guy Rocher. Mais le cours a un contenu factuel et n'est pas basé sur des croyances ou du prosélytisme, tient à dire M. Tobin. Au risque de tomber dans les clichés au-delà desquels bien des enseignants n'osent s'aventurer. «On étudie les rites funéraires, les fêtes, les valeurs des religions, de quelle façon un orthodoxe croit à Jésus, par exemple. On ne leur fait pas faire de réflexions si profondes sur la foi.»

Cela ne l'empêche pas de trouver le contenu de ce cours «qui veut plaire à tout le monde» beaucoup trop «frileux», car il ne propose pas l'option agnostique ou athée. «On a peur des parents catholiques, du lobby musulman, juif et des autres grandes religions qui se protègent. Le pluralisme, ça fait peur à pas mal de monde, et l'athéisme est perçu encore par beaucoup de monde comme quelque chose de négatif. Mais, en bout de ligne, mes élèves qui sont athées n'ont rien», a-t-il déploré. M. Tobin affirme néanmoins jouir, à l'instar de ses collègues qu'il respecte, d'une certaine liberté dans le choix des sujets et dans la façon dont il choisit de les traiter. Chacun fait à son idée.

Pour sa part, Vincent Morissette consacre beaucoup de temps de cours à déboulonner des mythes et des préjugés. «Le but du cours d'ECR, et plus particulièrement du volet "culture religieuse", c'est de s'ouvrir sur l'autre. C'est un défi, on ne va pas s'en cacher», note le jeune homme qui constate que le cours plaît à bon nombre d'élèves.

Certes, le cours est perfectible. Et de l'avis de M. Tobin, sa plus grande lacune est le manque d'encadrement des professeurs, qui devant une telle étendue de contenu et de compétence à évaluer, sont parfois bien démunis «La formation, il faut insister, est déficiente. Il n'y a pas de budget. [...] Et dans un contexte où le débat sur les accommodements raisonnables n'est pas terminé, ils ont de vraies patates chaudes dans les classes», a-t-il assuré.

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