Au-delà de la formule magique

Ce n'est pas un tour de magie, mais des enfants apprennent à lire avec l'aide de la célèbre formule «Abracadabra». De Laval à Hong Kong en passant par l'Australie, des petits du monde entier utilisent ce logiciel — gratuit — développé et testé par des experts des universités Concordia et McGill. Mais pas l'école primaire du coin: le logiciel existe en anglais seulement.

Dans la classe d'Irene, à l'école Hillcrest Academy à Laval, on comprend pourquoi les experts de Concordia ont travaillé 11 ans à élaborer le logiciel Abracadabra: les enfants de deuxième année l'aiment autant que leur enseignante. Pourtant, la classe de deuxième année s'exerce avec les blend letters. Ah oui, voilà: pour voir les jeunes en action sur «Abra», comme ses concepteurs l'appellent affectueusement, il faut se rendre dans une école publique anglophone de Laval.

Irene présente l'activité du jour sur un tableau blanc interactif . Les enfants développent presque une tendinite à force de lever la main pour répondre à une question d'orthographe. Irene, championne du multitâche mouture réforme, distribue les enfants entre les quatre stations de la classe. Deux sont équipées d'ordinateurs portables.

Abra a même été conçu en tenant compte des retards technologiques des écoles. Le logiciel d'apprentissage de la lecture roule sur Windows 95 avec une connexion Internet minimale. «C'est le seul logiciel dont les études ont démontré qu'il augmente la capacité de lecture», dit Catherine Lebel, directrice design et développement du Centre d'étude sur l'apprentissage et la performance, à l'origine du projet.

Dans un univers proche du jeu vidéo, les enfants naviguent entre la bibliothèque virtuelle et la banque d'activités de lecture destinée aux première et deuxième années.

«Regarde, dit un premier à son voisin: appuie sur "speady", c'est vraiment cool, j'ai lu en deux secondes.» Il s'exécute devant moi pour prouver que la prononciation des mots avec des blend letters ne l'effraie pas. Son voisin répond à peine à mes questions, trop captivé... par sa lecture.

«Ça fait vraiment une différence, confie Irene entre deux tournées de petites mains levées. Tu as vu comme ils écoutent? Entre un livre et un livre sur Abra, c'est juste le média qui change.» Une élève bloque devant un mot long, inconnu. Elle clique sur l'oiseau, qui prononce les syllabes. «L'ordi fait ce que j'aurais fait», dit Irene, surtout quand ils l'utilisent à la maison. Gratuit, Abra est aussi un portail sur le Web accessible à chaque enfant et à ses parents.

«La compétence en littératie, c'est la clé de la réussite à l'école et dans la vie en général. Tu ne peux pas réussir si tu ne peux pas lire, même en maths», soutient le professeur Phil Abrami. Son équipe et lui ont élaboré un programme basé sur des dizaines d'années de recherche sur l'apprentissage et la littératie, mais qui respecte aussi l'esprit de la réforme. Huit études scientifiques ont été menées pour évaluer Abra et le raffiner. Les gains en lecture des enfants sont de 10 à 20 %, et les plus faibles sont les plus avantagés.

«O. K. les enfants, c'est l'heure de changer de place!» Petit brouhaha, on range les écouteurs dans leur sac ziploc. Le plus gros problème avec la technologie dans cette classe... ce sont les fils des écouteurs qui s'emmêlent. Petite réserve: Irene a besoin de deux bénévoles lorsqu'une fois par semaine elle organise un avant-midi Abra.

«Ça va super bien avec les non-lecteurs et ceux qui ont des difficultés d'apprentissage. Tu vois celui-là? Il ne savait pas lire au début de l'année. J'ai ajusté le logiciel à son niveau. Il s'améliore beaucoup.» On enregistre les progrès de chaque élève, un peu comme sur la console wii.

«Il n'y a pas un prof qui peut élaborer ça sur le coin d'une table», dit Monique Brodeur. La doyenne de la Faculté des sciences de l'éducation de l'UQAM souhaite commencer l'adaptation française en janvier pour qu'Abra effectue une première rentrée scolaire dans deux ans et demi.

Le million de dollars nécessaire n'est pas encore entièrement trouvé, mais, impatientes, les commissions scolaires sont prêtes à investir, comme la CSDM. «Le processus de financement a été plus lent qu'on l'espérait, dit Phil Abrhami. Quand on a vu que c'était efficace, on a aussitôt voulu l'adapter en français.» La ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, a confirmé son intérêt pour le projet, dit son attachée de presse Tamara Davis.

Les enfants préfèrent-ils les livres sur Abra ou sur papier? «Les vrais», de répondre une petite blondinette. Pourquoi? «Parce que... on n'a pas besoin de cliquer.»

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