Loi sur la protection de la jeunesse - Les autochtones craignent l'assimilation par l'adoption
Des centaines d'enfants autochtones risquent d'être arrachés à jamais de leur communautés en vertu des nouvelles dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse, une situation qui inquiète au plus haut point l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL).
À partir de demain, des enfants autochtones âgés de moins de deux ans qui sont sous la garde de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) depuis plus d'un an pourraient être placés en adoption permanente. Comme il y a peu ou pas de ressources d'hébergement dans les réserves, aussi bien dire que ces enfants risquent d'être contraints à l'exode jusqu'à leur majorité.L'APNQL craint que l'application de la loi n'engendre «des incidences similaires à celles des pensionnats», en coupant une nouvelle génération d'enfants autochtones de leurs racines. «En les sortant de leur communauté, ces enfants seront pris entre deux mondes, deux langues et deux cultures. Il y a un effet d'assimilation, c'est clair, on ne peut pas en dire autre chose», déplore Guylaine Gill, directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux de l'APNQL.
Après avoir tenté, en vain, d'obtenir des assouplissements à la loi depuis un an, l'APNQL a sollicité récemment l'intervention de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, déplorant le «traitement inéquitable» et discriminatoire des enfants et des familles autochtones. «Toutes les mesures utiles seront prises pour faire avancer les choses. S'il faut aller devant les tribunaux, on va y aller», affirme Mme Gill.
Avec la nouvelle Loi sur la protection de la jeunesse, entrée en vigueur le 9 juillet 2007, le gouvernement du Québec a voulu accélérer les procédures d'adoption permanente pour les enfants dont les parents se montrent chroniquement incapables d'assumer leurs responsabilités. Ainsi, un juge de la chambre jeunesse peut ordonner l'adoption permanente d'un enfant s'il estime que sa sécurité et son développement sont toujours compromis, au terme d'un placement provisoire de 12 mois (pour les enfants de moins de deux ans), 18 mois (pour les enfants âgés de deux à cinq ans) ou 24 mois (pour les enfants de plus de six ans).
Une première cohorte d'enfants de moins de deux ans frappe donc aux portes de l'adoption permanente, avec le premier anniversaire de la loi. Selon les estimations de Mme Gill, il y aurait «plusieurs centaines» d'enfants autochtones qui sont exposés à une adoption définitive.
En moyenne, 1400 autochtones sur une population de 12 000 enfants, répartis dans les 27 communautés non-conventionnées, ont été confiés à la DPJ, bon an mal an, au cours des cinq dernières années, ce qui est «incroyable», estime Mme Gill. La durée moyenne du placement est de 9,5 mois. Les enfants issus des Premières Nations sont huit fois plus susceptibles de faire l'objet de mesures de la DPJ que les autres jeunes Québécois.
Comble du malheur, les réserves ne disposent pas des ressources et de l'expertise nécessaires pour relever les nombreux défis que l'appauvrissement, les inégalités socioéconomiques, le surpeuplement des logements et l'abus de substances posent à la jeunesse. Les réserves qui bénéficient de foyers ou de familles d'accueil se comptent sur les doigts d'une main. Selon les estimations de l'APNQL, neuf placements sur dix sont effectués à l'extérieur des communautés, auprès de familles d'accueil ou d'établissements étrangers aux Premières Nations.
En matière de protection de l'enfance dans les réserves, l'argent vient du fédéral. Par contre, les normes applicables sont définies par chacune des provinces. L'argent d'Ottawa sert à financer le coût du placement des enfants, mais il ne permet pas de développer des services de prévention et de soutien aux familles.
Les jeunes autochtones sont ainsi «captifs» d'un système au titre duquel on les retire de leur famille et de leur milieu culturel respectifs, sans pour autant donner à leurs parents le soutien auquel ils ont droit, déplore l'APNQL. Dans son dernier rapport, la vérificatrice générale du Canada, Sheila Fraser, a d'ailleurs dénoncé les inégalités du financement de l'aide à l'enfance dans les réserves, l'absence de services adaptés à la culture des enfants et des familles issus des Premières Nations et la piètre gestion du programme.
L'APNQL ne s'oppose pas à la nouvelle Loi sur la protection de la jeunesse, au contraire. Elle souhaite simplement obtenir des ressources pour développer son propre réseau d'aide à l'enfance, ainsi que des garanties de Québec selon lesquelles les droits, pratiques, cultures et langues autochtones seront pris en considération avant que ne soient ordonnées des mesures d'adoption permanente.