La promotion de l'industrie porcine à l'école crée des remous
Les producteurs de cochons du Québec peuvent-ils faire la promotion de leur industrie dans les écoles du Québec? Non, répond une jeune mère de Cowansville qui dénonce vertement une campagne de relations publiques orchestrée par la Fédération des producteurs de porcs du Québec (FPPQ) dans les écoles primaires de la province, et ce, avec l'appui de la Fédération des comités de parents du Québec.
Cette campagne, jugée «scandaleuse», selon elle, pourrait d'ailleurs contrevenir aux lois en matière de publicités destinées aux enfants de moins de 13 ans, a indiqué hier l'Office de la protection du consommateur qui a l'intention, dans les prochains jours, de disséquer les documents et sites Internet «à vocation pédagogique» produits par les éleveurs de cochons pour redorer leur image.Dans une lettre adressée la semaine dernière à la Fédération des comités de parents du Québec, et dont Le Devoir a obtenu copie, Éloïse Simoncelli-Bourque, présidente du conseil d'établissement de l'École Curé A. Petit de Cowansville déplore avoir trouvé récemment dans un envoi postal qui provenait du regroupement provincial de parents d'élèves une «fiche faisant la promotion d'activités pédagogiques conçues par la FPPQ». «Il m'apparaît scandaleux que la Fédération des comités de parents du Québec s'associe à la FPPQ pour présenter à nos élèves une information biaisée et mensongère» sur cette industrie largement subventionnée, polluante et socialement remise en question, écrit-elle.
Depuis 2006, la FPPQ produit en effet une série de fiches pédagogiques qui invitent les enseignants du 3e cycle du primaire à organiser, avec leurs élèves, des activités de français, de mathématiques, de géographie, d'histoire, mais aussi d'instruction civique, autour d'un thème commun: la production porcine du Québec.
Dans ce monde imaginé par la fédération des éleveurs de cochons, le développement d'habiletés en géométrie passe alors par la disposition de bâtiments constituant une porcherie sur un plan cartésien, la communication orale s'ancre dans l'organisation d'un débat sur «la cohabitation harmonieuse», quant à la géographie du Québec, elle se résume, dans ces fiches, à recenser des élevages de cochons et les régions où ils sont implantés. Entre autres choses.
Une entente a été signée il y a un an entre le regroupement d'éleveurs de porcs et la Fédération des comités de parents du Québec qui, pour 8000 $, s'est engagée à donner de la visibilité à la FPPQ sur son site Internet, mais aussi à faire la promotion de ce «matériel pédagogique» auprès de ses membres et des 6000 lecteurs de sa revue bimestrielle Action-Parents, à laquelle plusieurs enseignants sont abonnés aux quatre coins de la province.
«Nous sommes un petit organisme qui a de la difficulté à joindre les deux bouts, a justifié hier Marcien Proulx, directeur général du regroupement des comités de parents. Pour améliorer la qualité de nos services, nous devons trouver du soutien financier extérieur, et c'est dans ce contexte que nous avons signé une entente avec la FPPQ.»
Cacher la pollution derrière un beau cochon
Or, pour Mme Simoncelli-Bourque, qui est chargée de projet à la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l'environnement de l'UQAM, c'est bien là que le bât blesse. «Il n'y a pas eu une réflexion poussée, lance-t-elle à l'autre du fil, et c'est même étonnant que personne ne se soit insurgé avant moi. Ce matériel pédagogique est de très mauvaise qualité et, en plus, il vise à camoufler l'impact réel de la production porcine sur l'environnement et l'économie du Québec. Chose que la Fédération des comités de parents donne l'impression de cautionner en faisant rayonner ces documents.»
La jeune mère souligne, à titre d'exemple, que ces fiches pédagogiques font abstraction du fait qu'en Montérégie, selon plusieurs groupes locaux de citoyens, plus de la moitié des puits de surface seraient contaminés en raison de l'épandage de lisier de porc et de l'utilisation d'engrais et de pesticides pour faire pousser le maïs qui nourrit les cochons. Par ailleurs, elle souligne que cette industrie fortement intégrée vit grâce à d'importantes subventions, et ce, pour une production qui, à 75 %, va sur les marchés d'exportation. Un sujet qui n'est pas abordé dans les fiches de la FPPQ, souligne-t-elle.
Tout en reconnaissant faire la promotion depuis plus d'un an dans les écoles de la province de ce matériel pédagogique, la Fédération des producteurs de porcs du Québec estime toutefois que ses fiches d'activité ne relèvent aucunement de la propagande. «Nous voulons simplement donner de l'information et des faits justes sur la production, a indiqué Nathalie Hansen, porte-parole de l'organisme, et ce, afin d'intéresser à l'agriculture les enfants qui ne font pas toujours le lien entre une côtelette et un cochon.»
Pour l'Office de la protection du consommateur, qui se charge de surveiller dans la société les dérives publicitaires visant les jeunes de moins de 13 ans, les documents envoyés dans les écoles par la FPPQ n'ont, à première vue, rien «d'illégal», a indiqué son porte-parole, Jean-Jacques Préaux. «Là où ça accroche toutefois, c'est sur la présence d'hyperliens [ces adresses qui conduisent sur Internet] vers le site de la Fédération où l'on retrouve des jeux interactifs pour les enfants [de moins de 13 ans. On y propose un coloriage, un jeu de mémoire ou un jeu-questionnaire]. Certaines composantes de ce site vont d'ailleurs être regardées de plus près par nos services dans les prochains jours», a-t-il ajouté.
Mme Simoncelli-Bourque s'en réjouit d'ailleurs. Et en attendant le verdict, elle demande à la Fédération des comités de parents du Québec de se distancer rapidement des producteurs de cochons, mais aussi de faire parvenir une lettre d'excuse à ses membres pour avoir conclu ce partenariat «douteux», mais malheureusement prévisible, selon elle, dans une «période de plus en plus apolitique».
L'appel a d'ailleurs été en partie entendu. Hier, Marcien Proulx a assuré au Devoir que l'entente avec la FPPQ venait tout juste de prendre fin et ne serait pas renouvelée. «Même si nous n'avons reçu que trois lettres de protestation de parents depuis un an, il est clair que nous allons aligner nos prochaines décisions [de partenariat] en fonction d'un certain nombre de critères qui restent à définir», a-t-il poursuivi tout en ajoutant: «Cela ne va pas être facile, car, dans une société de consommation comme la nôtre, tous les biens sont questionnés et questionnables. Si quelqu'un a une solution pour permettre à de petits organismes comme le nôtre de surmonter ça, nous aimerions bien la connaître.»