Un Harvard canadien pour former des médecins

L'heure est-elle venue de se doter d'un Harvard, d'un Yale ou encore d'un Princeton bien canadien? En ces durs temps de pénurie, il n'y a plus de doute dans l'esprit de l'Association médicale canadienne (AMC). Dans une allocution prononcée cette semaine à l'Economic Club de Toronto, son président, le Dr Brian Day, a proposé l'ouverture d'écoles de médecine indépendantes et entièrement privées inspirées des fleurons de notre voisin du Sud.

Le diagnostic posé par l'AMC — qui rassemble plus de 67 000 médecins d'un océan à l'autre — est sans appel. S'il veut atteindre la moyenne des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Canada devra sortir des sentiers battus. «Souvenez-vous que Darwin n'a pas fait la promotion du plus fort mais plutôt de celui qui s'adapte le mieux. Il en va de même pour notre système de santé, qui doit s'adapter à la nouvelle réalité de la médecine du XXIe siècle», a lancé le Dr Day.

Pour cela, il faudra que les gouvernements fédéral et provinciaux consentent à s'ouvrir à d'autres modèles. Car pour atteindre le chiffre magique de trois médecins pour 1000 habitants prescrit par l'OCDE, «le Canada aurait besoin de 26 000 nouveaux médecins maintenant», a estimé le Dr Day. La création d'écoles de médecine indépendantes, qui pourraient prendre le relais des facultés publiques sans que les contribuables aient à payer un sou, est une solution naturelle à ses yeux. Les droits de scolarité seraient payés par les étudiants eux-mêmes, comme cela se fait dans les universités de l'Ivy League américaine.

«Franchement, je ne crois pas que quiconque va s'objecter à voir des écoles de médecine de la stature de l'Ivy League ouvrir leurs portes au Canada pour alléger la pénurie», a assuré le Dr Day lors d'un entretien téléphonique au Devoir. D'autant que ce sont là des établissements qui ont fait leurs preuves sans pour autant subordonner leur sens du devoir et de l'éthique à des impératifs commerciaux, a rappelé le président de l'AMC. «Harvard, Yale, Princeton: il s'agit d'écoles de médecine privées, certes, mais sans but lucratif.»

Au Canada, il existerait un bassin important d'étudiants potentiels pour lesquels ces facultés constitueraient une solution avantageuse. Selon l'AMC, pas moins de 1500 jeunes Canadiens doivent s'exiler chaque année pour faire leur médecine à l'étranger, faute de places suffisantes pour les accueillir ici. Or, une fois installés dans leur nouveau pays, la vaste majorité décident d'y rester, déplore le Dr Day.

Rapatrier mais aussi retenir

Une autre solution mise en avant par l'AMC consiste à faciliter le retour des médecins qui se sont exilés pour décrocher leur diplôme. Présentement, ceux-ci reçoivent le même traitement que tous les autres professionnels formés à l'étranger. Pour pratiquer dans leur pays natal, ils doivent donc se soumettre aux mêmes tests que les immigrants, un processus complexe qui en décourage plus d'un. «Pourquoi ne pas assouplir nos règles? demande le président de l'AMC, qui a lui-même fait ses études à l'étranger. Par exemple, on pourrait accréditer certaines des universités fréquentées en grand nombre par nos étudiants.»

Ce faisant, le Canada pourrait revenir aux années 1970, alors qu'il figurait parmi les quatre pays développés ayant le nombre le plus élevé de médecins par habitant. Aujourd'hui, il n'est plus qu'au 24e rang. «Des experts mal avisés ont convaincu nos gouvernements de couper dans les admissions aux écoles de médecine dans les années 1990 en leur faisant valoir que trop de médecins allaient gonfler les coûts de la santé», rappelle le Dr Day. Résultat: 4,5 millions de Canadiens sont sans médecin de famille.

Au Québec, la démonstration du président de l'AMC n'a guère eu d'écho, le ministre québécois de la Santé jugeant inutile l'ouverture d'écoles privées. La pénurie que l'on connaît vient du croisement de deux facteurs, soit le fait qu'on ait mis massivement des gens à la retraite au moment même où l'on réduisait les cohortes d'étudiants des facultés de médecine à 400, dans les années 1990, a expliqué l'attachée de presse de Philippe Couillard, Isabelle Merizzi.

Aujourd'hui, grâce à un virage pris il y a déjà quelques années, on frôle les 800 étudiants au Québec. Les fruits de cette augmentation pourront être récoltés en 2012, alors que 3000 nouveaux médecins arriveront sur le marché du travail. «Nos quatre facultés de médecine forment d'excellents médecins, dans un nombre suffisant, cela sur un territoire de plus en plus large depuis que notre gouvernement a mis sur pied des facultés satellites en région.»

Sans oublier le fait que le système canadien n'est pas fait pour se mouler au modèle américain, renchérit le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins du Québec. «Où ces écoles vont-elles trouver leurs professeurs? Où leurs étudiants feront-ils leur stage? Certainement pas dans un hôpital public! Encore moins dans un hôpital privé puisque la loi ne les autorise pas au Canada», tranche le Dr Robert, qui qualifie ce projet «d'utopique».

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