UQAM: le gouffre financier se creuse
L'aventure immobilière de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) tourne au cauchemar financier. Après le Complexe des sciences qui a creusé un trou de 100 millions, voilà que s'ajoute l'îlot Voyageur qui engendre à lui seul un problème pouvant atteindre 200 millions de dollars, a appris Le Devoir.
Selon diverses sources proches du dossier, l'UQAM se retrouve ainsi sur le bord d'un précipice oscillant entre 200 et 300 millions pour ce qui est de ses projets immobiliers. Et le problème ne s'arrête pas là puisque ces investissements font pression sur le budget annuel de fonctionnement de l'institution qui fait face de surcroît à des déficits accumulés. En février dernier, l'UQAM estimait le déficit budgétaire pour l'année en cours à 28 millions, ce qui porterait le fardeau total à 45 millions.Convoqué à une séance spéciale ce soir, le conseil d'administration de l'UQAM doit être mis au fait de l'ampleur des difficultés tant pour les immobilisations que pour le budget de fonctionnement. Des solutions doivent également être proposées. C'est dans cet esprit que le conseil d'administration a déjà statué il y a deux semaines sur la mise en vente de cinq des six immeubles acquis au cours des dernières années, afin de jeter du lest.
L'un des éléments qui feront l'objet de discussions est l'îlot Voyageur qui doit abriter le nouveau terminus central d'autocars, une tour de bureaux, un pavillon universitaire, des résidences étudiantes et des stationnements. Différentes évaluations circulent depuis quelques semaines sur l'importance du problème que pose l'îlot Voyageur. C'est que plusieurs analyses ont été demandées.
Dans les soubresauts de la crise qui secoue l'UQAM depuis l'automne dernier et qui a conduit au départ du recteur Roch Denis, l'UQAM a nommé un contrôleur financier pour suivre à la trace l'îlot Voyageur, le comité de vérification du conseil d'administration a entrepris une analyse financière du projet et une enquête a été menée par la firme comptable Samson Bélair Deloitte et Touche. Et c'est sans compter les deux comités mis en place, l'un sur la gouvernance et l'autre sur la gestion des projets immobiliers (avec un mandat particulier à la firme KPMG concernant le parachèvement du Complexe des sciences).
Selon les scénarios évoqués (retrancher certaines composantes du projet, révision de l'entente de partenariat avec le promoteur Busac, par exemple), le problème financier de l'îlot Voyageur pourrait atteindre 200 millions de dollars. Encore faut-il savoir à combien se chiffre le projet. Et l'UQAM n'est pas claire sur cette question.
Selon le constructeur Pomerleau, le coût des travaux est estimé à 226 millions. Selon la présentation qui a été faite en 2005 à l'Assemblée des gouverneurs de l'Université du Québec (qui chapeaute l'ensemble des constituantes du réseau, dont l'UQAM), le projet devait coûter quelque 325 millions de dollars. En commission parlementaire en février dernier, la rectrice par intérim, Danielle Laberge, parlait plutôt d'un projet évalué à 380 millions.
Difficile donc d'avoir l'heure juste, d'autant plus que l'UQAM se montre plus que réticente à donner des informations. Des questions précises posées au cours de la dernière semaine n'ont entraîné que des réponses vagues.
Chose certaine, le passage de Mme Laberge en commission parlementaire avait permis d'apprendre que l'UQAM estimait qu'il manquait une somme de 114 millions pour financer le projet de l'îlot Voyageur pourtant déjà en cours de construction. Mais, surtout, Mme Laberge rappelait que l'émission d'obligations (269 millions pour financer le projet) par Busac est entièrement garantie par l'UQAM.
L'entente de partenariat entre l'UQAM et Busac fait en sorte qu'après 30 ans d'un bail emphytéotique, l'institution deviendra propriétaire des immeubles. Mais, d'ici là, l'UQAM devra débourser, année après année, 17,2 millions. Cette rente a été établie en tenant compte du potentiel de revenus.
Or, le problème de l'îlot Voyageur s'explique, entre autres causes, par la rentabilité du projet qui n'est plus au rendez-vous. Déjà en décembre dernier, le comité de vérification avait alerté le conseil d'administration sur cette question. L'îlot Voyageur devait pourtant s'autofinancer à l'origine.
Ainsi, la tour de bureaux devait être le moteur financier de l'ensemble immobilier. Les projections laissaient miroiter une location des espaces à bureaux à 26 $ le pied carré. Or, il semble que, dans ce secteur du centre-ville, le marché actuel établisse plutôt le prix à environ 13 $ le pied carré, réduisant d'autant la possibilité de revenus. Le nombre de places de stationnement est également en cause. Plus de 800 espaces étaient prévus, mais, pour des considérations écologiques, l'UQAM les a réduits à 600. En clair, les revenus totaux ainsi générés seraient plus faibles que la dépense annuelle de 17,2 millions (rente emphytéotique).
Par ailleurs, certaines clauses du contrat avec Busac placeraient une épée de Damoclès au-dessus de l'UQAM. Si les travaux ne respectent pas l'échéance prévue, l'UQAM, et non pas le promoteur Busac qui a entre autres rôles celui de gérant du projet, devra payer des pénalités financières.
L'une des solutions qui pourraient être envisagées pour contrôler le dérapage immobilier de l'UQAM et ses effets sur son budget de fonctionnement (paiement des intérêts sur les immobilisations) serait de revoir de fond en comble le projet de l'îlot Voyageur. S'il y a des intentions de cet ordre, le constructeur Pomerleau assure n'en rien savoir.
Certains membres du conseil d'administration ont affirmé au Devoir sous le couvert de l'anonymat qu'il serait souhaitable que la tour de bureaux ne voie jamais le jour. Mais, encore là, l'UQAM est liée par contrat à Busac, et toute modification a un prix.
À l'hiver 2006, l'UQAM se voyait déjà sur une pente glissante avec ses projets immobiliers. Ses idées de grandeur créaient un carcan financier tel qu'elle a fait augmenter sa marge de crédit à 275 millions afin de réussir à assumer ses obligations. Mais voilà, ce ne serait plus suffisant.
Il y a un an, le ministère de l'Éducation exigeait un plan de redressement de la part de l'UQAM avant de verser la subvention prévue de 28,5 millions. Le plan de redressement se fait toujours attendre, et la subvention gouvernementale pour 2005-2006 aussi. La même situation se présente pour l'année financière en cours alors que la prochaine doit commencer le premier juin.
Ce n'est qu'en novembre dernier que le dossier a éclaté sur la place publique. Le Devoir révélait alors des coûts de construction supplémentaires de 40 millions pour le Complexe des sciences, un trou jamais révélé au conseil d'administration.