Une faculté à l'échelle humaine

L'Université de Sherbrooke dut attendre 12 ans après sa fondation avant d'inaugurer sa faculté de médecine. En 1966, la chose fut faite. Et ce ne fut pas un simple ajout aux trois autres lieux d'enseignement de cette discipline existant sur le territoire québécois. C'était une faculté différente.
C'était la petite nouvelle dans le paysage. Nous étions en 1966. En ces temps, l'université était un lieu quasi protocolaire. Comme le rapporte le sociologue et historiographe Denis Goulet, «à l'époque, l'Université de Montréal, c'est très guindé, les cours sont magistraux, donnés dans les gradins». À 120 kilomètres au sud, c'est par petits groupes, dans des classes qui ont presque la taille de celles qu'ils viennent tout juste de quitter, que reçoivent leur formation ces étudiants frais diplômés des collèges classiques et autres petits séminaires.Nous sommes à Sherbrooke. Après moult tergiversations, 12 ans après sa fondation, l'Université de Sherbrooke reçoit ses premiers étudiants en médecine. La dernière université à naître alors dans le paysage québécois est enfin «complète»: elle peut inscrire à son palmarès les deux facultés essentielles à toute bonne université, le droit y étant déjà enseigné.
Et ceux de Laval, Montréal ou McGill pourront pendant un temps la regarder de haut: la médecine à Sherbrooke n'est pas la «leur». On a pris le virage socioéconomique et Sherbrooke sera la première faculté de médecine à favoriser «l'approche par problèmes», délaissant donc en certaines matières une tradition qui privilégie le transfert des connaissances et leur absorption ad nauseam.
Place à l'innovation
Sherbrooke ne cessera d'innover. N'est-ce point de cette ville des Cantons-de-l'Est que sera lancée l'idée d'instaurer une autre institution aussi essentielle dans la vie québécoise que les dépanneurs, à savoir ici le CLSC, le centre local de services communautaires? De plus, la taille de l'université, que ce soit en matière d'espace ou en nombre d'étudiants, amènera à intégrer à la médecine autant les sciences infirmières que la pharmacologie, si bien qu'aujourd'hui l'ensemble est connu sous le nom de faculté de médecine et des sciences de la santé.
Et la petite nouvelle est devenue grande. Du campus originel, elle a débordé et elle dispense des formations tant à Saguenay qu'à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Ajoutez à cela la formation continue, et toute l'activité en santé communautaire, qui se concentre sur la rive sud de Montréal et l'on comprend pourquoi une station de métro a pour nom Longueuil-Université-de-Sherbrooke.
Et cela ne décrit pas toute l'étendue territoriale où agit cet établissement de savoir et de services. La liste des institutions affiliées comprend l'hôpital Charles-LeMoyne de Longueuil, le Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, l'hôpital Sainte-Croix de Drummondville et l'Hôtel-Dieu d'Arthabaska de Victoriaville et d'autres encore, sous divers modes de collaboration, qui se retrouvent à Val-d'Or, à Saint-Jean-sur-Richelieu, à Alma, à Granby et, hors Québec, à Edmundston et à Bathurst.
Et sachant que, depuis l'implantation des réseaux universitaires intégrés de santé, les RUIS, Sherbrooke reçoit en territoire d'intervention une Montérégie au million d'habitants, on comprend comment, en 40 ans, celle qu'un Gérald La Salle implantait a su au fil des ans s'imposer dans l'univers de la santé.
Former et rechercher
Sherbrooke forme donc de futurs médecins, comme elle forme ceux qui leur enseignent. Car la pédagogie retenue, cet apprentissage par problèmes qui essaime aujourd'hui dans d'autres universités, dans d'autres facultés, reprise d'un modèle américain, transforme les modes d'enseignement. Le futur professeur retourne donc en classe pour recevoir une «formation conçue selon les différentes tâches d'enseignement. Si un professeur veut être tuteur, il recevra une formation à cet effet; s'il choisit d'être moniteur d'un groupe d'apprentissage au raisonnement clinique, la formation sera en conséquence.»
Une telle démarche permet ainsi au vice-doyen aux études prédoctorales, le docteur Paul Grand'Maison, de conclure avec une formule enthousiaste: «Nous sommes à l'avant-garde au Canada en ce qui a trait à la formation des professeurs.»
L'université contemporaine n'est cependant pas qu'un lieu d'enseignement, mais aussi un lieu de recherche. Sherbrooke est devenue avec les ans une université reconnue pour les avancées réalisées en oncologie et en génomique fonctionnelle, deux des neuf créneaux développés au fil des ans. De plus, étant l'une des rares universités équipées d'un émetteur à positons, l'institution de l'Estrie s'en réjouit: «Je n'hésite pas à dire, déclare donc Nicole Gallo-Payet, vice-doyenne à la recherche, que nous sommes les meilleurs au Canada en radio-oncologie et en imagerie moléculaire.»
Contact direct
Vus d'un autre bout de la lorgnette, d'une faculté comme celle de Montpellier en France, où ils sont 1500 inscrits en première année avant de se retrouver seulement 250 retenus pour la deuxième, et alors distribués sur deux campus, les 194 futurs médecins de Sherbrooke semblent peu nombreux. Mais leurs confrères et consoeurs d'outre-Atlantique leur envieraient toutefois une situation où le contact direct est favorisé et l'élément «humain» prioritaire.
Il y a donc souvent un avantage à être le dernier-né d'une grande famille. D'autant plus que, depuis 2001, le Centre de pédagogie en sciences de la santé, qui compte maintenant 20 ans d'existence, est un centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé dans le domaine des ressources humaines: le seul au Canada et un des quatre que compte l'Amérique du Nord.