Historique - Une faculté condamnée à l'innovation
La faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke s'est offert un cadeau très à propos pour fêter ses 40 ans: un bouquin sur son histoire. Et elle est allée chercher probablement la personne la plus compétente pour le rédiger: Denis Goulet.
Denis Goulet est professeur associé à l'Université de Sherbrooke et enseigne la sociologie de la santé à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire de la santé au Québec, c'est à lui qu'on a également confié la rédaction de l'histoire de la Fédération des médecins spécialistes du Québec et de celle de la Bibliothèque nationale.C'est donc sous l'oeil d'un sociologue que l'on découvre l'histoire d'une petite faculté qui ne l'a pas eu facile. Première école de médecine en région, plus jeune faculté de médecine au Québec, «c'est toujours elle qui était visée lorsqu'il était question de fermer une faculté de médecine, explique Denis Goulet en entrevue. C'est ce qui l'a condamnée à l'excellence et à l'innovation».
L'Université de Sherbrooke a été créée en 1954. «À l'époque, quand on créait une université, on devait nécessairement créer deux grandes facultés, le droit et la médecine, les deux professions libérales», raconte Denis Goulet. Mais une faculté de médecine coûte cher. Ça prend un hôpital. À l'époque de Duplessis, on n'a pas les moyens de se payer ce luxe en région. Le projet est resté en veilleuse jusqu'au début des années 1960.
De Lesage à La Salle
Lors de la Révolution tranquille, un groupe de médecins, dont le docteur Larouche, a repris le projet en main. «Jean Lesage n'est pas du tout contre l'idée, explique le professeur Goulet, mais il n'alloue pas les fonds nécessaires.»
Les médecins de Sherbrooke n'étaient pas enthousiastes non plus à l'idée de créer une faculté de médecine. Ils se doutaient bien que ça allait amener des chercheurs de l'extérieur à Sherbrooke et qu'ils allaient prendre leurs postes.
Puisqu'un asile avait été construit sous Duplessis dans la région de Sherbrooke et que le docteur Camille Laurin avait recommandé l'abolition de ce genre d'institutions d'internement, on a légué le bâtiment à l'Université de Sherbrooke. «C'était un cadeau empoisonné, explique Denis Goulet. C'est un gros édifice situé à l'extérieur de Sherbrooke.»
Larouche démissionne et Gérald La Salle reprend le projet à partir de 1964. «C'est un personnage important, qui a des contacts partout, raconte Denis Goulet. Il réussira à obtenir une subvention de la Fondation Kellogg et ira chercher de grands spécialistes jusqu'aux États-Unis.»
La faculté finit par ouvrir ses portes en 1966 et, dès le départ, elle se positionne de façon très avant-gardiste. C'est la première faculté au Québec à mettre de l'avant l'approche socioéconomique. C'est à elle que l'on doit des recherches, par exemple, sur l'intoxication au plomb ou les facteurs sociaux liés à l'alcoolisme. «Cette approche est tout à fait nouvelle à l'époque», explique Denis Goulet.
Apports
Les apports de la faculté de médecine sont nombreux et leur impact est toujours aussi important aujourd'hui. «C'est la première faculté au Québec qui favorise l'approche par problèmes», explique Denis Goulet. Selon lui, le modèle sherbrookois, bien qu'il soit inspiré du modèle américain, est unique parce qu'il sait s'adapter à la société québécoise. Par exemple, ce sont des diplômés de la faculté de médecine de Sherbrooke qui ont conçu l'idée des CLSC.
C'est aussi à Sherbrooke que l'on doit le système de répartition des revenus des professeurs. «Un médecin qui travaille dans un hôpital gagne beaucoup plus qu'un médecin qui travaille dans un laboratoire. Si on veut encourager la recherche, il faut faire en sorte qu'une partie des revenus des professeurs cliniciens soit mise dans un fonds commun distribué à l'ensemble des professeurs. C'est ce qui a permis à l'hôpital d'engager d'excellents chercheurs», explique Denis Goulet.
Encore aujourd'hui, la tradition d'innovation se maintient. «Les professeurs choisissent d'enseigner à Sherbrooke parce qu'ils connaissent la culture innovatrice de sa faculté», explique Denis Goulet. C'est dans le but de préserver cette tradition qu'on a demandé au sociologue et historien d'immortaliser la philosophie avant-gardiste de cette faculté de médecine québécoise qui demeure à ce jour la plus petite.
Collaboratrice du Devoir