Une entrevue avec Bruno-Marie Béchard - Inventer des approches nouvelles

Bruno-Marie Béchard, recteur de l’Université de Sherbrooke
Photo: Bruno-Marie Béchard, recteur de l’Université de Sherbrooke

Pour opérer une «grande séduction» et recruter des médecins sur leur territoire, les populations de la ville de Saguenay, de Moncton, de Trois-Rivières, de Victoriaville et de Drummondville disposent d'un atout: des étudiants en médecine de l'Université de Sherbrooke y ont étudié ou y ont fait un stage. L'institution forme ainsi des médecins «particulièrement aptes et intéressés à travailler en région», selon son recteur, Bruno-Marie Béchard.

Grâce à son réseau d'institutions affiliées et d'institutions collaboratrices dans différentes villes, l'Université de Sherbrooke (UdeS) et sa faculté de médecine et des sciences de la santé ont «un puissant dispositif pour contribuer à solutionner le problème» du manque de médecins en région, estime Bruno-Marie Béchard.

Depuis septembre, l'Université de Sherbrooke admet des étudiants en médecine qui effectueront toute leur formation dans des campus dans la ville de Saguenay et à Moncton, en collaboration respectivement avec l'Université du Québec à Chicoutimi et avec l'Université de Moncton. «Dans le cas de Moncton, c'est la première fois qu'une université canadienne déploie un campus à l'extérieur de sa province d'attache», affirme M. Béchard.

Large réseau

L'hôpital Charles-LeMoyne de Longueuil, le Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, l'hôpital Sainte-Croix de Drummondville et l'Hôtel-Dieu d'Arthabaska de Victoriaville font aussi partie des institutions affiliées à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke. La faculté collabore en outre avec plusieurs institutions au Québec et au Nouveau-Brunswick, notamment à Val-d'Or, à Alma, à Saint-Jean-sur-Richelieu, à Granby, à Edmundston et à Bathurst.

«Notre faculté de médecine a développé le plus important réseau d'hôpitaux affiliés au Québec. Nos hôpitaux affiliés, d'abord, sont plus nombreux qu'ailleurs, nettement. Et en plus, ils sont plus dispersés géographiquement qu'ailleurs», soutient le recteur.

Le déploiement dans d'autres villes que Sherbrooke n'est pas propre à la faculté de médecine et des sciences de la santé. L'UdeS est présente dans plus de 70 villes à travers le monde. Elle dispose entre autres d'un campus à Longueuil, autour duquel gravitent quelque 9500 étudiants et stagiaires.

«Ça fait 40 ans que l'Université de Sherbrooke a cette volonté de répondre à des besoins auxquels les autres universités ne répondent pas, des besoins qui s'expriment un peu partout au Québec et au monde. On veut y répondre dans une optique de services, on le fait là où les gens nous réclament. C'est ce qui s'est produit, à Longueuil, en Montérégie il y a 40 ans», dit le recteur.

Plutôt que d'exporter ce qu'elle faisait à Sherbrooke, l'institution a développé des programmes sur mesure, «en tout respect des autres institutions», affirme M. Béchard, qui assure que l'université qu'il dirige n'a jamais lancé à Longueuil de formations offertes par les universités montréalaises.

Intégration

Autre caractéristique propre à l'Université de Sherbrooke: les professeurs et les étudiants en sciences infirmières appartiennent à la même faculté que leurs confrères et consoeurs en médecine. Des professeurs et des étudiants en ergothérapie et en physiothérapie se joindront bientôt à eux, puisque l'institution s'apprête à lancer une école de réadaptation. La faculté de médecine et des sciences de la santé est en outre intégrée physiquement au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.

«Ça fait une intégration vraiment formidable entre la pratique, la recherche et l'enseignement, qui fait que nos professeurs et nos étudiants sont particulièrement branchés sur la réalité — non seulement la réalité médicale, mais la réalité large des sciences de la santé — par le fait qu'ils côtoient en même temps les praticiens et les gens qui sont en sciences infirmières, en médecine, etc.», dit le recteur.

Innovation

M. Béchard décrit par ailleurs la faculté, qui a été nommée «centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé», comme étant audacieuse et avant-gardiste. «La faculté de médecine de Sherbrooke a été la première au Québec à introduire, par exemple, l'apprentissage par problèmes en médecine. C'est carrément une révolution dans la formation en médecine», soutient-il. Plutôt que d'inculquer des connaissances aux étudiants et de leur expliquer par la suite en quoi elles leur seront utiles en pratique, l'institution estrienne a choisi de plonger les étudiants dans la pratique et d'en tirer avec eux les connaissances dont ils ont besoin.

«Maintenant, toutes les facultés de médecine au Québec ont adopté à différents degrés cette façon d'enseigner la médecine, qui a fait ses preuves. Lorsqu'on s'est lancé dans cette aventure, les institutions traditionnelles nous regardaient avec beaucoup de scepticisme, avec un sourire en coin», affirme le recteur. Devant le succès des finissants en médecine de l'Université de Sherbrooke, notamment aux examens nationaux, les autres institutions ont peu à peu revu leurs façons de faire, dit M. Béchard.

Cette volonté d'innover et de sortir des sentiers battus ne se limite pas à la faculté de médecine et des sciences de la santé, mentionne-t-il. «On se projette dans l'avenir. On observe de façon très assidue les caractéristiques des nouvelles générations qui nous arrivent régulièrement pour essayer d'anticiper les besoins de la société et des jeunes», affirme le recteur.

« Faire aussi bien avec moins de ressources »

L'UdeS dispose-t-elle de suffisamment de moyens pour ce faire et pour assurer un enseignement de qualité? L'été dernier, M. Béchard s'était inquiété du sous-financement des universités québécoises par rapport à leurs homologues du reste du Canada. Le gouvernement du Québec avait annoncé le lendemain que le montant du réinvestissement destiné aux universités se chiffrerait à 240 millions de dollars d'ici 2008-2009. Les universités québécoises avaient salué la nouvelle, mais rappelé que cela ne permettrait pas de combler l'écart avec les institutions du reste du Canada.

«Il ne faut pas se leurrer: de façon générale au Québec, on dispose de 30 % de moins de ressources que la moyenne canadienne pour faire le même travail. C'est sûr qu'en quelque sorte, on fait des acrobaties pour faire aussi bien avec moins de ressources, mais il y a des limites à ça», dit le recteur Béchard.

«On a réussi à faire aussi bien qu'ailleurs et même mieux», ajoute-t-il néanmoins, mentionnant par exemple que, dans un classement du Globe & Mail réalisé à partir des résultats d'une étude auprès des étudiants des universités canadiennes, son institution était en tête de liste.

«Pour moi la qualité de la formation universitaire au Québec est formidable, mais évidemment elle est sujette à la fragilité, parce qu'on dispose de beaucoup moins de ressources qu'ailleurs pour faire notre travail», dit-il.

Collaboratrice du Devoir

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