Une vie bonus

Dans le roman «Force brute» de l’écrivain chypriote Sofronis Sofroniou, un joueur d’échecs new-yorkais meurt en 1948 à l’âge de 66 ans et se retrouve projeté dans le monde de Petite Vie. Non, pas «La petite vie» de Ti-Mé et Moman, mais une planète à part entière où les morts, tous âgés de 20 ans, ressuscitent pour une vie supplémentaire qui dure dix ans.
Photo: IStock Dans le roman «Force brute» de l’écrivain chypriote Sofronis Sofroniou, un joueur d’échecs new-yorkais meurt en 1948 à l’âge de 66 ans et se retrouve projeté dans le monde de Petite Vie. Non, pas «La petite vie» de Ti-Mé et Moman, mais une planète à part entière où les morts, tous âgés de 20 ans, ressuscitent pour une vie supplémentaire qui dure dix ans.

Le secret de l’immortalité est d’avoir vécu de façon mémorable, a déjà dit Bruce Lee. L’astuce pour profiter d’une vie éternelle est de manger des champignons géants et de gagner des vies supplémentaires, ont répliqué les créateurs de Mario Bros. Qui dit vrai ?

Dans son roman Trames, le professeur de littérature au collège Lionel-Groulx Martin LeBlanc explore la possibilité que la réalité dépasse un jour le jeu vidéo. Et s’il était possible d’effectuer une sauvegarde avant d’attaquer le niveau suivant de sa propre vie ?

En pleine crise de la quarantaine, un avocat à succès nommé Thomas Kaha tombe sur une technologie qui lui permet d’effectuer une telle copie de sûreté. La société qui a mis au point cet ingénieux dispositif le transporte ensuite dans un univers parallèle où il pourra vivre les conséquences d’une décision qui changera sa vie : laisser son épouse pour une femme plus jeune et plus séduisante. Le fameux fruit défendu.

Un choix risqué. Peut-être finira-t-il par regretter un geste qu’a posé dans le passé plus d’un quarantenairedéçu par la routine d’une vie trop rangée… mais qui sait ? Peut-être ne sera-t-il pas plus heureux qu’il l’est déjà.

Évidemment, si ça foire, il peut revenir à sa sauvegarde. Sauf que celle-ci est en réalité une vie parallèle qui s’est poursuivie malgré son absence. Revenir à sa première vie implique de reprendre le fil du temps là où il est rendu. Si le personnage non humain qui l’a remplacé durant son absence a décidé d’apprendre à danser et d’adopter un chien, reprendre sa place risque de ne pas être aussi facile que d’enfiler ses vieilles chaussures…

Trames est le premier roman de Martin LeBlanc. La prémisse est intéressante, mais le scénario demeure très linéaire. On n’aurait pas refusé un ou deux rebondissements de plus, sachant qu’il existe dans le futur pas si lointain qu’il imagine ici un multivers entier où nos vies prennent toute sorte de tangentes différentes. N’en explorer qu’une ou deux, c’est laisser plus d’un lecteur curieux sur son appétit.

« Une grande part de notre identité provient du hasard », écrit l’auteur. Ce n’est plus un hasard si aucune option n’est pas la bonne option. C’est du déterminisme.

Kafka dans le texte

Si on ne peut pas effacer nos erreurs passées, l’autre option est peut-être… de les oublier. La mémoire est-elle un outil fidèle ? Ou ressemble-t-elle davantage à ces applications photo pour téléphone qui font le tri pour ne garder que les meilleurs clichés ?

L’écrivain chypriote Sofronis Sofroniou explore cette question très délicate dans son roman Fonte brute. Le livre a originalement été publié en grec en 2017 et vient tout juste d’être traduit en français.

Pour voir comment les souvenirs peuvent parfois nous jouer des tours, il campe son histoire dans un au-delà un peu déjanté que Kafka n’aurait certainement pas renié. Ceux qui aiment les histoires échevelées vont se régaler de ce récit délirant qui se lit comme un sprint. On en sort tout essoufflé !

Un joueur d’échecs new-yorkais meurt en 1948 à l’âge de 66 ans et se retrouve projeté dans le monde de Petite Vie. Non, pas La petite vie de Ti-Mé et Moman, mais une planète à part entière où les morts, tous âgés de 20 ans, ressuscitent pour une vie supplémentaire qui dure dix ans. Ce paradis qui n’a rien de catholique n’est pas de tout repos : chacun reçoit une mission. Celle de notre héros : retrouver et reconstituer la mémoire d’un roman appelé 4001 et écrit par un auteur appelé Robert Krauss.

L’homme n’a pas connu une vie très heureuse, comprend-on entre les lignes. Sur Terre, sa femme décédée trop jeune lui a volé très tôt ce qui semblait être son principal élément de bonheur. Dans Petite Vie, il s’adjoint les services d’une femme, Bonadea, qui finit plus ou moins par la remplacer. Remplir sa quête de mémoire ne devrait pas être si compliqué, mais voilà. Rien dans ce roman n’est simple. Une flopée de personnages, tous appelés Hans, viennent contrecarrer ses plans et sa mission. Leur propre objectif est de remplacer les souvenirs d’une vie vécue sur Terre par un mécanisme obscur et automatisé, mangeur de mémoires, une folie à plusieurs, comme l’écrit Sofroniou, qui étourdit jusqu’à la toute fin le lecteur même le plus averti.

Si la vie était un jeu vidéo, Fonte brute serait le niveau ultime, celui où le « boss » de la fin est le plus coriace. Remporter la victoire n’apporte pas de véritable réponse à toutes les questions soulevées en cours de lecture, mais met en lumière le rapport pas toujours sain qu’on entretient avec le passé, la technologie, la vie.

Spécialiste de psychologie et des neurosciences, Sofronis Sofroniou nous sert une visite guidée d’un cerveau dont les synapses ne tournent pas tous au même rythme.

À quand un premier roman à succès rédigé par une IA ?

L’émergence de l’intelligence artificielle se fait sentir partout… et jusque dans les librairies en ligne. La boutique Kindle d’Amazon ne compte plus le nombre de livres, romans, bandes dessinées ou autres qui ont été rédigés en tout ou en partie à l’aide de l’interface ChatGPT. On comptait au moins 200 de ces titres dans la boutique en ligne à la fin février.

Entre-temps, OpenAI, la société qui a mis au point cette technologie, a procédé à une mise à niveau qui ne fera qu’amplifier le phénomène. Sa limite précédente pour les réponses qu’elle fournissait aux questions de ses utilisateurs était de 3000 mots. Elle vient de passer à 25 000 mots. C’est plus que suffisant pour produire quelques chapitres de votre prochain roman…

Évidemment, ça commence à sérieusement inquiéter bien des gens. L’Authors Guild, la plus grande organisation professionnelle d’écrivains en Amérique du Nord, vient de publier un avis sur la question. Il n’est pas rare que des auteurs fantômes tiennent la plume de personnalités plus connues, bien au contraire. Mais si cet auteur est un robot, il faudra bien le préciser sur la couverture, avertit la guilde.

En même temps, une IA n’est-elle pas beaucoup plus qu’une machine à écrire hypersophistiquée ?

Trames

Martin LeBlanc, Glénat Québec, Montréal, 2023, 264 pages

Fonte brute

Sofronis Sofroniou, traduit du grec par Nicolas Pailler, Éditions Zulma, Paris, 2023, 375 pages



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