La crépitante quête du bacon végétal

Les substituts de source végétale sont, selon plusieurs, la solution.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Les substituts de source végétale sont, selon plusieurs, la solution.

Campagnes virales, intelligence artificielle, mégadonnées… On ne le dirait pas comme ça, mais le marketing alimentaire se raffine sans cesse. Si bien que les hot-dogs, les croustilles et les hamburgers, par exemple, sont devenus le nec plus ultra de la haute technologie alimentaire. Le Devoir vous propose une série d’articles qui en témoigne. De quoi animer la discussion lors de votre prochain coquetel dînatoire.

Tout ça a commencé par un hamburger. Puis, ç’a été au tour des fruits de mer. Cette semaine, c’est le poulet. Mais la conquête par les producteurs de protéines végétales du marché de la vraie de vraie viande ne s’arrêtera pas là. L’objectif ultime : le bacon.

Dans le monde américain des affaires, il existe une certaine attitude pour mener au succès qui se résume par l’expression « fait semblant jusqu’à ce que ce soit vrai » (« fake it until you make it »). Dans le secteur alimentaire très protéiné de la malbouffe, cette maxime est en train de s’inverser : de plus en plus d’entreprises rêvent de pouvoir remplacer la viande composant la galette de bœuf ou de poulet de leurs sandwichs par des substituts de source végétale qui simuleront à la perfection le comportement de la véritable viande.

Faux filets et faux-filets

 

La société américaine Beyond Meat, une des pionnières de la protéine végétale moderne, a annoncé plus tôt cette semaine avoir franchi un pas important dans le développement d’aliments de remplacement de la chair animale : des filets de poulet. Ceux-ci ne contiennent absolument aucune trace de poulet. Pourtant, ils ont la forme et la texture du poulet. Ils se comportent durant la cuisson exactement comme de véritables filets de poulet. Et ils goûtent effectivement la même chose que le poulet.

500 milliards
C’est la valeur annuelle que pourrait atteindre, en dollars américains, le marché des produits dérivés de protéines végétales.

Quatre cents chaînes de restauration plus ou moins rapide aux États-Unis ont commencé dans les derniers jours à offrir les filets Beyond Meat. On ne doute pas qu’ils seront bientôt vendus ailleurs dans le monde : leur fausse viande de bœuf se vend depuis quelques années déjà dans 80 pays, y compris le Canada.

D’ailleurs, les consommateurs canadiens qui se demandent à quoi peuvent ressembler de faux filets de poulet n’ont qu’à visiter le rayon des surgelés de l’épicerie la plus près de chez eux. Ils peuvent aussi faire un arrêt dans une succursale de la chaîne de restauration rapide Poulet frit Kentucky. La société Lightlife, filiale depuis 2017 du géant alimentaire ontarien Maple Leaf, y vend ses propres filets de poulet composés de protéines végétales depuis l’été dernier.

Un potentiel qui fait saliver

 

Comme Beyond Meat, Lightlife profite du boom de la demande pour les protéines végétales pour s’imposer dans le secteur alimentaire nord-américain. Son chiffre d’affaires a augmenté de 30 % en 2020. L’entreprise vend aussi des galettes de hamburger végétariennes à la fois aux restaurateurs et aux épiciers.

Cette diversification est perçue comme le meilleur moyen d’accaparer une part importante du marché de la « viande végé », qui était évalué l’an dernier à un milliard de dollars. C’est sa croissance anticipée, surtout, qui fait saliver : la firme de consultation Kearney calcule qu’il pourrait se vendre annuellement pour 500 milliards de dollars de produits dérivés des protéines végétales, à mesure que la population mondiale s’accroît et que son style de vie se rapproche de celui des pays occidentaux.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir De plus en plus d’entreprises rêvent de pouvoir remplacer la viande composant la galette de boeuf ou de poulet de leurs sandwichs par des substituts de source végétale qui simuleront à la perfection le comportement de la véritable viande.

Car la production de viande est extrêmement énergivore et polluante. Selon l’ONU, 15 % des émissions de GES d’origine humaine sont provoquées par l’élevage industriel. Dans un contexte où la plupart des pays dans le monde comptent devenir carboneutres d’ici 30 ans, bien des gens se demandent comment on pourra hausser la production de protéines animales pour satisfaire cette demande croissante tout en réduisant la pollution qui en résulte.

Les substituts de source végétale sont, selon plusieurs, la solution. C’est en tout cas comme ça qu’Ethan Brown, le p.-d.g. de Beyond Meat, positionne son entreprise. Pour l’homme d’affaires de 49 ans, l’objectif ultime est de produire de fausses viandes si convaincantes qu’elles tromperont les papilles même des plus grands amateurs de viande.

Imiter, une fausse bonne idée ?

Pour Beyond Meat, confiait le p.-d.g. de l’entreprise en entrevue avec le Wall Street Journal, le Saint-Graal, ce n’est ni le bœuf ni le poulet, mais le porc. Ou à tout le moins, le bacon. Le jour où il sera possible de recréer la texture, la saveur et, surtout, le grésillement d’une tranche de bacon bien grasse qui se tortille au-dessus des flammes d’un barbecue, il pourra dire : mission accomplie.

Beyond Meat aurait pu carrément se positionner comme quelque chose de nouveau dans le secteur alimentaire. Cette idée d’essayer de voler les parts de marché de la viande est peut-être une erreur.

Ce n’est pas une approche qui fait l’unanimité. Sylvain Charlebois, professeur à l’Université Dalhousie d’Halifax et expert du secteur alimentaire, pense que Beyond Meat limite ses chances de succès en se confinant dans le marché de remplacement. « Beyond Meat aurait pu carrément se positionner comme quelque chose de nouveau dans le secteur alimentaire. Cette idée d’essayer de voler les parts de marché de la viande est peut-être une erreur », croit-il.

Après tout, quand on imite quelque chose, on peut difficilement le surpasser. Comment changer durablement les habitudes alimentaires des consommateurs en leur proposant les mêmes aliments, fussent-ils de source végétale plutôt qu’animale ? Si Beyond Meat arrive à recréer à la perfection le comportement d’une tranche de bacon dans la poêle, arrivera-t-elle à imposer ses protéines issues de pois chiches dans l’assiette des Nord-Américains ?

Voilà une bonne question. Une question à 500 milliards de dollars.

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