Le terme «fromage fermier» sera bientôt certifié au Québec

Le Québec aura enfin son fromage fermier. Après plus de sept ans de gestation, le projet devient un règlement pour encadrer ce terme valorisant. Il sera publié dans La Gazette officielle mercredi, a appris Le Devoir d’une source gouvernementale proche du dossier. Les fromagers concernés s’en réjouissent, tout en voyant tout le travail qui reste à faire pour établir une reconnaissance solide de leurs produits.
« C’est l’aboutissement officiel et une reconnaissance vraiment bienvenue », dit Jean Morin, copropriétaire de la Fromagerie du Presbytère, qui a participé au développement de cette initiative. La démarche fut peut-être ardue, mais son résultat survient à un moment crucial : « Il y a un éveil plus que jamais à la nécessité de savoir d’où les aliments viennent. Et c’est exactement ce qu’on vient définir avec ce terme », dit-il.
Un fromage fermier, ce sont des heures de labeur à s’occuper des animaux, vaches, chèvres ou brebis, mais aussi à transformer le lait en fromage. La clé est ce contrôle de l’entièreté du processus ; le producteur-transformateur travaille dans sa propre entreprise.
L’équation est donc relativement simple : un fermier, une ferme, un troupeau. Mais pour les fromagers, cela signifie encore plus : « Ça place vraiment la famille au cœur du projet de “fromage fermier” », dit Rose-Alice Boivin-Côté, copropriétaire de la Fromagerie Médard à Saint-Gédéon au Lac-Saint-Jean.
Avec son frère et sa sœur, ils forment la sixième génération à pouvoir vivre de la ferme et de tout ce qu’elle a engendré : « La vision de nos parents était que, pour vivre dans des meilleures conditions de l’agriculture, il fallait se tourner vers la transformation », relate Mme Boivin-Côté. Au début des années 2000, une usine de lait ferme à Chambord, à proximité de la ferme. L’idée de transformer sur place, plutôt que de devoir acheminer leur lait à des centaines de kilomètres de distance, fait son chemin. « On voulait aussi faire vivre notre coin, notre région », dit-elle.
Le règlement dans sa forme actuelle, sous réserve de modifications ultérieures, précise aussi que la fromagerie peut être « mécanisée » sans être automatisée. La magie de transformer du lait en fromage ne peut donc pas être laissée entièrement à un ordinateur, le producteur-transformateur surveille la fabrication et adapte ses paramètres.
Il y a un éveil plus que jamais à la nécessité de savoir d’où les aliments viennent. Et c’est exactement ce qu’on vient définir avec ce terme.
Il y a donc cette forme de ressenti et de savoir-faire au cœur du projet de fromage fermier, dit M. Morin. « On s’en tient à des façons artisanales », poursuit-il. Pas question d’utiliser des substances laitières modifiées, ou des poudres de lait venues des États-Unis, ce qui les distinguera formellement des grands producteurs. Et même s’il a du mal à utiliser le mot « culture » tant cette expertise est jeune au Québec, ce fromager d’expérience décrit les nombreux choix réalisés par ces fromagers-fermiers, de la nourriture pour leur troupeau, jusqu’à l’affinage des meules.
La suite
À partir du moment où « fromage fermier » est reconnu comme un terme valorisant, il devient donc rattaché à ces caractéristiques particulières. Un certificateur reste encore à désigner, et celui-ci sera ensuite encadré par le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants du Québec (CARTV). En retour, il devient aussi un gage d’authenticité, écrit le CARTV dans sa mission. L’initiative doit toujours provenir en premier du milieu lui-même, dit Pascale Tremblay, présidente-directrice générale du CARTV, dans ce cas-ci d’un collectif de producteurs en discussion depuis plus de sept ans.
Ça place vraiment la famille au coeur du projet de “fromage fermier”
Mme Boivin-Côté espère aussi que cette première reconnaissance conduira à une autre : la formation d’une classe de lait distincte pour les producteurs-transformateurs de fromage fermier. « En ce moment, on rachète notre propre lait plus cher qu’on ne le produit pour le transformer », explique-t-elle, en raison des règles strictes de la production laitière au Québec.
Il reste tout de même à assurer la continuité du projet, nuance aussi Louis Arseneault. Ancien propriétaire de la Fromagerie des Grondines, dans Portneuf, il a accompagné l’initiative de près, mais il craint maintenant que le relais soit difficile. « Le vrai travail commence une fois l’annonce faite », résume-t-il. Les fromagers toujours très occupés devront arriver à structurer une association.
Il y a entre 30 et 40 entreprises admissibles au Québec, et celles-ci devront continuer à reconnaître la valeur de coller le terme « fromage fermier » sur leur étiquette. « Il faut que les critères soient faciles à faire appliquer dans une certaine mesure, sans dénaturer le projet. Et que les frais restent accessibles aux plus petits », note M. Arseneault.
La Fromagerie Au Gré des Champs, n’est par exemple plus certaine de vouloir faire les démarches pour apposer le terme à sa production. « C’est trop peu trop tard pour nous. Nous avons déjà la certification biologique, qui est la plus sévère et la plus difficile à obtenir », explique Marie-Pier Gosselin, copropriétaire avec ses parents.
La présidente-directrice générale du CARTV, Pascale Tremblay, est quant à elle beaucoup plus optimiste : « Le Québec pourrait bénéficier d’une quinzaine d’appellations facilement. On n’a pas encore vu toutes les possibilités, et il y a de l’émulation dans le domaine. » Deux autres projets sont d’ailleurs en cours devant le CARTV : celui des spiritueux d’érable pour une indication géographique protégée (IGP) Acerum et un autre pour les spiritueux distillés au Québec faits de matières premières d’ici.
« Il aura fallu une crise comme cette pandémie pour que le local fasse les manchettes, mais on peut dire qu’on était déjà au rendez-vous », conclut Jean Morin.