La fierté de ne pas gaspiller d'aliments

Atlantide Desrochers a créé, il y a quatre ans, le groupe Partage et solidarité afin de confectionner des paniers alimentaires pour les plus démunis à partir de produits invendus provenant des commerçants locaux.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Atlantide Desrochers a créé, il y a quatre ans, le groupe Partage et solidarité afin de confectionner des paniers alimentaires pour les plus démunis à partir de produits invendus provenant des commerçants locaux.

Chaque année au Canada, quelque 11,2 millions de tonnes de nourriture, qui auraient pu être récupérées et redistribuées aux banques alimentaires, notamment, sont jetées au rebut. « Il y a des gens qui ont faim, nous le savons, et nous remplissons des poubelles de nourriture viable. C’est inacceptable, surtout en 2020 », se désole Atlantide Desrochers, une citoyenne du Plateau-Mont-Royal qui a fait de la lutte contre le gaspillage alimentaire son cheval de bataille.

Horrifiée de constater que, semaine après semaine, les poubelles derrière les commerces de son quartier se remplissaient de denrées encore fraîches et tout à fait comestibles, elle a créé, il y a quatre ans, le groupe Partage et solidarité afin de confectionner des paniers alimentaires pour les plus démunis à partir de produits invendus provenant des commerçants locaux.

Mais elle n’a pas voulu s’arrêter là. Désireuse qu’un réel changement s’opère, elle a lancé en 2019 une pétition demandant à la Ville de Montréal d’adopter des mesures — par voie réglementaire notamment — pour mettre un terme au gaspillage alimentaire et à la destruction de denrées encore propres à la consommation par les commerces, les institutions et les industries. Comme plus de 15 000 signatures ont été recueillies, la Ville mènera une consultation à ce sujet à compter du 3 décembre prochain.

Le gaspillage est un sujet tabou. La dénonciation a souvent été utilisée dans le passé, et ça ne crée pas la collaboration.

Pour Atlantide Desrochers, le gaspillage alimentaire est un non-sens. Selon elle, des solutions simples pourraient être mises en place à l’échelle locale, comme permettre aux commerçants d’installer des bacs derrière leur établissement pour que les produits invendus puissent être laissés à la disposition de ceux qui en ont besoin et non jetés dans les bennes à ordures. Elle dénonce aussi les dates de péremption, qu’elle qualifie d’« immense arnaque ».

Les paniers alimentaires

 

Au cours des cinq dernières années, un vaste réseau de récupération s’est développé au Québec permettant de réduire le gaspillage alimentaire. Avec le Programme de récupération en supermarchés, les Banques alimentaires du Québec, qui regroupent 32 organismes, ont conclu des ententes avec 426 supermarchés de la province pour récupérer les produits invendus et garnir les paniers alimentaires remis aux plus démunis. Pour l’ensemble de la province, c’est l’équivalent de 6,7 millions de kilos de denrées qui sont ainsi redistribués.

Stéphane Lacasse, porte-parole de l’Association des détaillants en alimentation du Québec, assure que les supermarchés et les épiciers sont disposés à accroître la quantité de denrées qu’ils remettent aux banques alimentaires. Sauf que les organismes n’ont pas la capacité logistique pour en recevoir davantage à l’heure actuelle, fait-il valoir. « Il faudrait d’abord que les gouvernements et les villes équipent les organismes de récupération et les aident financièrement, dit-il. Si on nous oblige à leur en donner davantage, ça ne fonctionnera pas plus. »

11,2
C’est le nombre de millions de tonnes de nourriture jetées chaque année au Canada.

Le directeur général de Moisson Montréal, Richard D. Daneau, voit d’un bon œil que la Ville de Montréal lance un mouvement de mobilisation pour réduire le gaspillage alimentaire. « Forcer les détaillants à ne pas jeter de produits peut aussi être une bonne idée, mais il ne faut pas que les banques alimentaires deviennent la poubelle des épiciers ou des restaurateurs. Ce n’est pas parce que les gens sont pauvres qu’on devrait leur donner des portions de pâté chinois à moitié mangées. Il faut faire attention à ça. »

La collecte de ces denrées représente déjà des frais importants pour les banques alimentaires. Augmenter la quantité de nourriture à aller chercher risque d’alourdir leur fardeau financier, signale M. Daneau. « Il ne faut pas transférer une facture qui était assumée par le privé au monde communautaire. On n’est pas plus riches que les détaillants en alimentation. »

Viser la réduction à la source

Directeur général de La Transformerie, un organisme qui récupère des fruits et des légumes fatigués auprès d’épiciers de Rosemont–La Petite-Patrie pour en faire des tartinades, Guillaume Cantin met en garde contre la tentation de montrer du doigt les commerçants.

« Le gaspillage est un sujet tabou. La dénonciation a souvent été utilisée dans le passé, et ça ne crée pas la collaboration », explique-t-il. C’est dans cette optique que La Transformerie vise maintenant une réduction des déchets à la source en développant des solutions en collaboration avec les commerçants. « Je crois que ça permettrait d’avoir un plus grand impact de réduction, dit-il. Pour nous, l’élément-clé est d’impliquer les commerçants qui génèrent ce gaspillage et de travailler avec eux pour changer ça. Il y en a, des commerçants, qui souhaitent ce changement. Il n’y a personne qui se lève le matin pour jeter de la nourriture, du moins, j’ose le croire. C’est leur modèle d’affaires qui fait ça. »

À la maison

 

Le gaspillage alimentaire est loin d’être seulement l’affaire des supermarchés ou de l’industrie agroalimentaire. Il concerne aussi le citoyen qui, chaque semaine, jette des aliments qui ont trop longtemps traîné sur le comptoir ou ont été abandonnés à leur sort dans le réfrigérateur, estime Florence-Léa Siry, fondatrice de Chic frigo sans fric et experte en lutte contre le gaspillage alimentaire et en réduction des déchets. « Il y a des changements à faire dans nos habitudes de consommation. Je suis persuadée que, si on apprenait à mieux conserver nos aliments, il y a 50 % de notre gaspillage alimentaire qui pourrait être évité à la maison », explique-t-elle. À titre d’exemple, elle cite le cas d’un concombre qu’on met au réfrigérateur et qui se dégradera rapidement dans sa pellicule plastique : « Si je retire le plastique et que je le mets debout dans un fond d’eau, il va se conserver trois semaines. »

Il y a des changements à faire dans nos habitudes de consommation. Je suis persuadée que, si on apprenait à mieux conserver nos aliments, il y a 50 % de notre gaspillage alimentaire qui pourrait être évité à la maison.

Au fil des ans, elle a développé une panoplie d’astuces pour mieux conserver les aliments, apprêter ceux qui ont perdu leur fraîcheur et aider les consommateurs à revoir leurs habitudes d’achat. « C’est une source de fierté de ne plus gaspiller », lance-t-elle.

La préparation de menus à l’avance peut être fort utile, mais cette stratégie ne convient pas à tout le monde. « C’est difficile pour moi de faire une liste d’achats, admet Florence-Léa Siry. Je suis quelqu’un qui a besoin de flexibilité et de spontanéité. Ça fait partie de mon indice bonheur. »

Consultation

 

Dans le cadre de sa consultation, la Ville de Montréal tiendra une séance d’information virtuelle le 3 décembre prochain. L’audition des mémoires du public se fera en janvier prochain. Dans son plan directeur de gestion des matières résiduelles 2020-2025, la Ville s’est déjà fixé pour objectif de réduire de 50 % le gaspillage alimentaire d’ici 2025. Elle vise à devenir une ville zéro déchet d’ici 2030.

Atlantide Desrochers, elle, n’entend pas en rester là. Après la pétition adressée à la Ville de Montréal, elle a lancé, en septembre dernier, une pétition demandant au gouvernement du Québec d’interdire aux commerces, aux institutions et aux industries de jeter de la nourriture viable et de les obliger à se doter de plans de réduction du gaspillage alimentaire. Portée par la députée solidaire de Mercier, Ruba Ghazal, cette pétition a pour l’instant recueilli près de 5500 signatures.

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Une version précédente de ce texte qui indiquait erronément que quelque 11,2 tonnes de nourriture étaient annuellement jetées au Canada a été corrigée.