

La suspension des inspections de routine augmentera-t-elle les risques alimentaires au Canada?
Baisse des inspections alimentaires depuis des années, diminution des effectifs de contrôle en pleine paralysie de l’Administration américaine : après l’épisode de la laitue romaine de Californie contaminée, les Canadiens devraient-ils s’inquiéter de la salubrité des aliments qui traversent la frontière pour atterrir dans leur assiette ?
La nouvelle a fait le tour des médias américains mercredi : la paralysie partielle de l’Administration américaine depuis le 22 décembre force la Food and Drug Administration (FDA) à stopper ses inspections alimentaires préventives pour se concentrer sur les crises sanitaires avérées. Sans s’inquiéter outre mesure de la salubrité des produits importés au Canada, des experts rappellent que le système d’inspection américain « tombe en ruine » depuis plusieurs années, sans qu’Ottawa renforce les contrôles de son côté de la frontière.
Avec 41 % de ses employés au chômage technique, les ressources encore disponibles à la FDA — qui supervise 80 % des approvisionnements alimentaires des États-Unis ainsi que les importations de l’étranger — mettront de côté les inspections de routine (160 par semaine) concernant entre autres les fruits, les légumes ou les produits de la mer.
Une décision qui pourrait avoir un impact au Canada, qui importe une grande quantité de produits américains. Mais l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) assure rester « à l’affût des préoccupations concernant la salubrité des aliments » qui entrent sur son territoire. Elle précise toutefois n’avoir reçu « aucune indication particulière » depuis le début du gel de services. « Notre surveillance, nos inspections et nos contrôles des importations continuent de s’appliquer et si nous avons connaissance de problèmes avec des produits importés provenant des États‑Unis, nous prendrons les mesures appropriées. »
C’est impossible de retenir tous les produits arrivés à la douane pour les tester. On va mettre plus d’efforts sur des produits plus à risque, comme ceux de Chine, où les normes sanitaires et de production diffèrent des nôtres.
À l’heure actuelle, le Canada ne peut contrôler chaque fruit, légume ou pièce de viande qui passe sa frontière, étant donné la quantité d’échanges commerciaux entre les deux pays. « Mais il faut dire que le Canada et les États-Unis ont des normes et des systèmes de contrôle alimentaire assez comparables et parmi les plus évolués au monde », assure Samuel Godefroy, professeur en analyse des risques et politiques réglementaires des aliments à l’Université Laval.
Certains tests sont effectués ici et là de façon épisodique pour contrôler l’éventuelle présence d’insectes, de bactéries, de virus, de substances chimiques ou de pesticides, par exemple. L’ACIA a une entente de reconnaissance sur la salubrité des aliments avec la FDA, qui est responsable de la salubrité des fruits et légumes frais exportés vers le Canada. Ainsi, l’agence se fie aux vérifications faites par la FDA, a-t-on confirmé au Devoir.
D’ailleurs, il revient à la FDA de veiller à ce que ses producteurs respectent les normes et de sanctionner au besoin en retirant leur licence ou en leur délivrant une amende salée, indique M. Godefroy.
« C’est aussi impossible de retenir tous les produits arrivés à la douane pour les tester, ça coûterait cher à l’industrie. Il y a un calcul de probabilité à faire. On va mettre plus d’efforts sur des produits plus à risque, comme ceux de Chine, où les normes sanitaires et de production diffèrent des nôtres », renchérit Sébastien Rioux, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie politique de l’alimentation et du bien-être et professeur à l’Université de Montréal.
De son côté, il ne semble pas autant s’inquiéter de l’impact de la paralysie partielle à Washington que de l’état du système d’inspection chez nos voisins du sud qui laisse à désirer. « C’est sûr que la probabilité d’une contamination au Canada est plus grande avec [le gel de services], mais ça change peu de choses puisqu’à la base, très peu d’inspections sont faites en dépit du volume élevé d’importations au pays. »
Il rappelle que la logique de la responsabilité sociosanitaire incombe de plus en plus aux producteurs, ce qui diminue le rôle étatique en matière de surveillance des aliments. « On s’attend à ce que les entreprises s’autosurveillent, qu’elles respectent toutes les normes, indique M. Rioux. C’est comme ça depuis plusieurs années aux États-Unis, et c’était la même logique [au Canada] sous Stephen Harper, qui a sabré les dépenses en sécurité alimentaire. »
Le professeur en distribution et politiques agroalimentaires à l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois, abonde dans ce sens. S’appuyant sur des données du California Leafy Green Marketing Agreement, il a constaté que le nombre d’inspections des producteurs de laitues et de légumes feuillus a diminué de près de 47 % entre 2010 et 2017, passant de 589 à 361 vérifications planifiées.
Le problème, dit-il, c’est que nul n’est à l’abri d’une faille, d’une contamination imprévue, même les États-Unis. D’ailleurs, le Canada en a fait les frais récemment. L’Agence de santé publique du Canada a averti en novembre dernier les citoyens du Québec, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick de cesser de consommer de la laitue romaine, après l’éclosion d’infections à E. coli chez une trentaine de personnes.
Les États-Unis avaient émis la même directive, comptant 62 personnes contaminées à travers 16 États. Après enquête, la FDA a pu remonter jusqu’à un producteur californien, Adam Bros. Farming. L’ACIA a alors effectué un rappel de certaines laitues romaines et de choux-fleurs provenant de cet État américain.
Si le nombre de rappels alimentaires au Canada est à la baisse depuis quelques années — il est passé de 595 en 2012 à 325 en 2018 —, plus d’inspections, et surtout d’employés pour effectuer un tel exercice, ce ne serait pas de trop aux yeux de Sébastien Rioux. « Ça prend des bottes sur le terrain, des gens qui inspectent les ports, les usines d’abattage un peu partout. Mais aussi des experts en laboratoire pour analyser le tout. »
Toutefois, « le risque zéro n’existe pas » dans le secteur alimentaire, affirme-t-il. Plus encore dans un monde où les échanges commerciaux ne cessent de s’intensifier, et où les consommateurs demandent à avoir accès à une diversité de produits toujours plus grande.
La suspension des inspections de routine augmentera-t-elle les risques alimentaires au Canada?
Les fruits et les légumes frais peuvent être contaminés dans le champ et lors de leur manipulation.
Les conseils des experts consultés par le «Devoir».
Pour Sébastien Rioux, le code d’inspection ne peut protéger le consommateur contre lui-même.