

La suspension des inspections de routine augmentera-t-elle les risques alimentaires au Canada?
Les laitues romaines et les choux-fleurs ont récemment été retirés des tablettes des épiceries en raison de la présence d’une souche pathogène de la bactérie Escherichia coli (E. coli). Où, quand, comment ces légumes frais ont-ils pu être contaminés ? Les possibilités sont multiples, affirme Julie Jean, professeure de sciences des aliments à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF).
Les principales bactéries à l’origine des contaminations alimentaires vivent dans les intestins des animaux, dont les animaux d’élevage. Elles peuvent donc se retrouver dans l’eau d’irrigation des cultures, quand celle-ci entre en contact avec les matières fécales des troupeaux broutant près des champs. Les engrais biologiques utilisés pour fertiliser les sols où poussent les fruits et les légumes peuvent aussi être porteurs si les bactéries pathogènes n’ont pas été détruites durant le compostage nécessaire à leur production. « En principe, on n’épand pas de matières fécales fraîches », fait remarquer Mme Jean.
Les personnes qui effectuent la récolte les mains souillées peuvent aussi transférer des bactéries pathogènes sur les légumes et les fruits durant la cueillette et le ramassage. Ces micro-organismes peuvent ensuite poursuivre leur croissance sur ces produits frais.
La contamination peut survenir à diverses étapes de la manipulation des produits récoltés, notamment durant leur entreposage et leur transport. Des récipients entachés peuvent devenir le vecteur de contaminants. Même à la maison, la contamination peut se propager quand des aliments crus infectés entraînent la contamination croisée d’autres vivres présents sur la même surface du frigo, y compris d’aliments cuits.
Les laitues romaines contaminées à l’E. Coli visées par les rappels récents étaient cultivées dans des champs voisins de pâturages destinés à l’élevage bovin. Elles ont pu être souillées lors de l’arrosage, avec de l’eau contenant des matières fécales animales. « Normalement, les agriculteurs utilisent de l’eau potable pour irriguer les cultures, mais [celle-ci] peut être contaminée par des incidents involontaires », rappelle Mme Jean. Il est aussi possible que le sol ait été contaminé par du fumier contenant des souches pathogènes.
Il n’est pas exclu que les maraîchers aient introduit eux-mêmes dans leurs cultures des excréments animaux collés à leurs bottes. « La consommation de produits frais n’est jamais exempte de risques, car aucun traitement n’élimine la charge microbienne sur un produit, à l’exception de l’irradiation, qui n’est pas encore autorisée au Canada. Avant de l’envisager, il faudrait voir son impact sur la texture et la couleur du produit », déclare Mme Jean.
Escherichia coli « Seulement certaines souches, comme la souche O157 H7, sont pathogènes pour l’humain, la plupart ne le sont pas », précise la professeure Julie Jean. La sévérité des problèmes de santé entraînés par cette souche dépend de l’état du système immunitaire de la personne ayant consommé l’aliment contaminé. « Les jeunes enfants et les personnes âgées sont plus à risque d’être malades et d’avoir des complications », indique Mme Jean. La souche O157 H7, qui vit dans les intestins des animaux et des humains, a été à l’origine d’épidémies de gastro-entérite, caractérisées par la présence de sang dans les selles. Particulièrement vulnérables, les enfants de moins de cinq ans peuvent souffrir de complications hépatiques et rénales. En 2011, des concombres provenant d’Espagne, contaminés par une autre souche d’E. coli (O104 : H4), ont entraîné une épidémie d’infections, essentiellement en Allemagne.
Listeria monocytogenes Présente dans l’intestin des animaux, cette bactérie, dont certaines souches sont pathogènes pour l’humain, se retrouve aussi ailleurs dans l’environnement. À l’origine de gastro-entérites peu symptomatiques, elle entraîne des complications bien plus graves, même la mort, beaucoup plus souvent qu’avec E. coli., chez les personnes plus à risque, dont les personnes âgées. Chez les femmes enceintes, elle peut provoquer un avortement spontané et la mort du foetus. Bien que la listériose soit connue au Québec en raison des infections associées aux fromages et à certaines viandes froides, Listeria monocytogenes peut aussi contaminer les fruits et les légumes.
La salmonelle et la bactérie Campylobacter Présentes dans le système digestif des oiseaux, ces deux bactéries sont plus susceptibles de contaminer les viandes de volailles et les oeufs. La cuisson est essentielle pour éliminer ces bactéries. Il est recommandé de ne pas consommer d’oeufs crus.
Les norovirus, qui ne vivent que dans l’intestin humain, se retrouvent sur les aliments mis en contact avec les matières fécales. « Contrairement aux bactéries qui se multiplient, les virus ne prolifèrent pas dans les aliments. Ils ne sont qu’un véhicule pour rencontrer un autre être humain chez qui ils pourront provoquer une gastro-entérite. De 10 à 100 virus suffisent pour induire une gastro-entérite », précise Mme Jean. Légumes et fruits peuvent être exposés aux norovirus par le biais d’eau d’irrigation souillée par des matières fécales humaines.
Contrairement aux bactéries qui se multiplient, les virus ne prolifèrent pas dans les aliments
Les petits fruits cueillis manuellement, comme les fraises et les framboises, sont aussi plus susceptibles d’être porteurs de ces virus en raison du contact avec les mains potentiellement souillées d’un cueilleur. En 2017, des framboises de Chine contaminées aux norovirus ont fait l’objet d’un rappel.
Au Québec, les intoxications alimentaires aux norovirus découlent le plus souvent d’infections entraînées par les mains souillées d’une personne, notamment après avoir changé la couche d’un bébé.
Présent surtout dans les pays chauds, ce virus prospère dans les matières fécales des humains qui en sont infectés.
Des aliments lavés ou arrosés avec de l’eau corrompue par des matières fécales peuvent donc être contaminés par l’hépatite A.
En avril 2018, des fraises congelées en provenance d’Égypte contaminées à l’hépatite A ont été retirées du marché au Québec et en Ontario.
Les moules et les huîtres, des mollusques bivalves qui se nourrissent de phytoplancton en filtrant l’eau, peuvent aussi être infectées par le virus de l’hépatite A.
« Lors de très grosses pluies torrentielles, par exemple, des eaux usées peuvent être relâchées dans l’environnement en raison du débordement des systèmes d’épuration des eaux usées », rappelle la professeure Julie Jean.
La suspension des inspections de routine augmentera-t-elle les risques alimentaires au Canada?
Les fruits et les légumes frais peuvent être contaminés dans le champ et lors de leur manipulation.
Les conseils des experts consultés par le «Devoir».
Pour Sébastien Rioux, le code d’inspection ne peut protéger le consommateur contre lui-même.