La concurrence se corse sur le marché du café

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Au pays, le café fait fleurir une industrie dont les ventes ont atteint l’an passé 6,2 milliards de dollars, selon l’Association canadienne du café.

L’engouement pour le café, la boisson la plus bue après l’eau au Canada, met en ébullition un marché où la concurrence est de plus en plus corsée. Pour survivre, des cafés nouvelle mouture voient le jour, histoire d’étancher une soif qui ne semble pas près d’être assouvie.

La production mondiale du café ne cesse de croître et la boisson tonique continue de gagner en popularité, notamment au Québec. Plus d’un commerce y trouve son gagne-pain, et l’effet énergisant — et réconfortant — du café poursuit son travail de séduction auprès des consommateurs.

Dégusté dans le confort de son salon ou en route vers le boulot, avec un nuage de lait ou noir et bien corsé, le café est la boisson la plus consommée par les adultes après l’eau du robinet au Canada.

Seuls les habitants des Pays-Bas, qui sirotent en moyenne deux tasses par jour et consomment 260,4 litres de café par an, et ceux de la Finlande (184,9 litres), damaient le pion aux Canadiens en 2017, arrivés au troisième rang avec 152,1 litres de café bus par année par habitant.

 

Au Canada, le café fait fleurir une industrie dont les ventes ont atteint l’an passé 6,2 milliards de dollars, selon l’Association canadienne du café. Les Canadiens boivent d’énormes quantités de café sur le pouce, de sorte que la majorité des ventes liées à cet autre or noir se réalisent dans les cafés, tous types confondus (4,8 milliards), plutôt qu’en épicerie (1,4 milliard).

Concurrence torride

 

Si le café filtre convenait à bon nombre de Québécois jusqu’à récemment, aujourd’hui le goût et la qualité doivent aussi être au rendez-vous. Sans compter sa provenance, que l’on recherche équitable et biologique.

Profitant de cette popularité sans faille, de plus en plus de joueurs se lancent sur le marché. Ils surfent sur la « troisième vague » poussée par des artisans et amateurs qui carburent aux petits cafés indépendants. Mais perdus dans cet océan de nouveaux commerces, aux valeurs et produits similaires, difficile de tirer son épingle du jeu.

Se démarquer

 

Des propriétaires choisissent alors d’offrir aux clients une expérience originale pour accompagner un bon café. Café-yoga, café-vélo, café-chien, café-friperie : tous les moyens sont bons pour se distinguer et éviter de mettre la clef sous la porte.

« Je ressens davantage la concurrence ces derniers temps avec l’arrivée d’autres petits cafés sur Mont-Royal. C’est devenu une mode de se lancer dans le milieu. Au moins, on se démarque ici en étant aussi une friperie », explique François Audet, qui a ouvert Le Placard il y a presque 20 ans au coeur du Plateau Mont-Royal.

Bénéficiant d’un grand espace, il y a intégré quelques portants de vêtements. « Rien qu’avec trois ou quatre personnes par jour qui achètent un vêtement en plus de prendre un café, ça aide les fins de mois. »

Qu'est-ce qui fait un bon latté ?

 

Même stratégie au café littéraire Chez l’éditeur, dans Villeray, qui partage ses locaux avec les maisons d’édition Québec Amérique et Cardinal. Leurs livres y sont mis en vente juste à côté du comptoir à café.

« Les gens aiment lire un livre en buvant un latte, alors on leur fait découvrir de nouveaux ouvrages. On se démarque, et la vente de livres aide à faire fonctionner le café », raconte le gérant, François Beauchemin.

Pour sa part, le Café dépanneur, situé rue Bernard dans le Mile-End, a préféré miser sur une ambiance différente pour attirer les clients.

 

Chaque jour, il permet à des musiciens amateurs de jouer en échange d’un café ou d’un repas gratuit. « C’est cool parce que ça nous fait une ambiance originale. Et les consommateurs choisissent notre café plutôt qu’un autre parce qu’ils peuvent y découvrir de nouveaux bands locaux », explique le propriétaire, Benoît Bigham.

Il reconnaît toutefois qu’il reste difficile de survivre avec ou sans plus-value. « Je vais vers des choses que j’aime, et la musique, j’aime ça. Mais je dirais qu’on en arrache financièrement. »

Offrir des places assises dans un décor agréable, un café de qualité et quelques viennoiseries n’est plus une garantie de réussite pour les cafés indépendants. Nombre d’entre eux peinent à survivre et finissent par fermer.

Pour JoAnne Labrecque, professeure de marketing à HEC, les établissements doivent redoubler de stratégies pour sortir du lot et devenir le meilleur choix dans le quartier. « Il faut amener les consommateurs à se déplacer parce que ça vaut le coup et qu’on n’est pas qu’un simple café du coin. Ça devient une expérience, autant qu’aller au musée, au cours de sport ou dans un parc d’attraction. »

Le café, c’est vendeur

Selon elle, il ne faut pas penser pour autant que vendre du café n’est plus une activité rentable. Elle donne l’exemple des commerces qui ont ajouté cette offre de service à leur activité principale pour justement attirer davantage d’acheteurs. « C’est tendance, d’introduire un coin café dans un commerce pour bonifier l’expérience client. On voit ça dans les salons de coiffure, les boutiques de vêtements ou de vélos », dit-elle.

152
C’est le nombre de litres de café bus par année par habitant au Canada, en 2017.

Des propos qui trouvent écho chez le gérant de la boutique Véloespresso, Olivier Quirion Deslauriers. Lorsqu’il a déménagé son magasin de vente et réparation de vélos dans un plus grand local du quartier Hochelaga-Maisonneuve, il a décidé d’investir dans un comptoir, des chaises et s’est aussi lancé dans la vente de café.

« C’est un service de plus qui fidélise la clientèle. Et si on garde une personne plus longtemps dans la boutique, elle va magasiner davantage, c’est sûr », reconnaît-il.

« Il faut désormais amener les consommateurs à se déplacer parce que ça vaut le coup et qu’on n’est pas qu’un simple café du coin. Ça devient une expérience autant que d’aller au musée, à un cours de sport ou dans un parc d’attraction. » JoAnne Labrecque

Offrir des places assises dans un décor agréable, un café de qualité et quelques viennoiseries ne semble plus une garantie de réussite pour les cafés indépendants

Les chaînes jouent les indépendants

Les grandes chaînes Tim Hortons, Second Cup et Starbucks ont beau se partager la plus grande part du marché au Québec, les cafés indépendants leur font de plus en plus concurrence. « Ça fonctionne bien, les cafés indépendants, en ce moment, dit Simon-Louis Brosseau, copropriétaire des cafés Paquebot à Montréal. De nouveaux cafés ouvrent constamment, même si certains ferment. On prend de la place petit à petit face aux chaînes, qui doivent fermer des succursales. »

En offrant une expérience « plus complète, qui dépasse la boisson chaude », les cafés indépendants se démarquent des grands joueurs, fait remarquer Francine Rodier, professeure de marketing à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

« Ces commerces sont plus proches des gens, souvent bien enracinés dans leur quartier. Ils ont une clientèle qui leur est particulière, qui leur ressemble. »

Un détail qui n’a pas échappé aux chaînes, qui cherchent à se renouveler pour ne pas perdre leurs clients. « Certains iront jusqu’à changer leur décor pour avoir une allure un peu plus lounge, illustre Mme Rodier. Mais les gens ne sont pas dupes : un café de McDonald’s reste un café de McDonald’s. » Malgré tout, les cafés des chaînes continuent de se vendre en plus grande quantité, en dépit de leur « goût standardisé », note-t-elle.


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