

La concurrence se corse sur le marché du café
Au Québec, l’attrait croissant pour l’autre or noir oblige les cafés à se diversifier.
Lassés de voir leurs clients absorbés par leur écran pendant des heures, de plus en plus de propriétaires de cafés préfèrent interdire les ordinateurs ou même supprimer Internet pour briser le silence de mort qui s’était installé.
« Je ne pensais jamais devoir aller jusque-là, mais l’ambiance au café était loin de ce que je voulais : un lieu chaleureux, convivial, vivant », confie Marie-Ève Laroche, propriétaire du Pikolo Espresso Bar sur l’avenue du Parc à Montréal.
En s’installant en 2011 au coeur du ghetto McGill, offrir Internet aux clients était une évidence, la plupart d’entre eux étant étudiants. Mais la situation est devenue vite intenable. Mme Laroche ne supportait plus de voir ses tables monopolisées par ces travailleurs silencieux — qui consommaient à peine —, l’obligeant à refuser d’autres clients voulant savourer un café en discutant.
« Il n’y avait plus aucun son, il y avait une énergie morte complètement toxique. J’avais envie de briser une assiette juste pour faire du bruit », raconte-t-elle. Au printemps 2015, elle a décidé de supprimer l’accès au Wi-Fi, au risque de voir les lieux se vider.
« C’était un gros move, une décision longtemps repoussée, mais finalement, ç’a bien été reçu. Il y a plus de roulement, et l’ambiance est meilleure. Les gens discutent, se rencontrent, rient. Les étudiants viennent toujours, mais moins longtemps, pour faire leurs lectures. »
Supprimer Internet, interdire les ordis : tous les moyens sont bons pour chasser les étudiants et travailleurs autonomes. Comme le Pikolo, d’autres établissements — tels que le Arts Café dans le Mile End, Le moineau masqué ou encore le Café Névé dans le Plateau–Mont-Royal — veulent miser sur les rencontres et échanges.
Les premiers cafés apparus au XVIIe siècle en Europe offraient un espace de débats politiques, rappelle le professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières, Laurent Turcot. « L’avantage, c’est que contrairement aux tavernes, c’est plus facile de parler politique avec trois ou quatre cafés que trois ou quatre bières », plaisante-t-il.
Pour l’auteur d’Extraits de cafés, André Carpentier, les cafés doivent garder « un rôle social ». « C’est important de trouver des lieux publics pour se rencontrer, discuter, en dépensant seulement quelques dollars pour un café. »
Il estime les cafés nécessaires à la vie de quartier pour remplacer les paroisses qui avaient autrefois le rôle de rassemblement communautaire. « Les gens du quartier finissent par se reconnaître en fréquentant le café du coin. C’est d’autant plus nécessaire dans un monde individualiste où l’on ne connaît plus vraiment nos voisins. »
Mais face à la concurrence entraînée par la prolifération de petits cafés indépendants, difficile de fermer complètement la porte à une part non négligeable de consommateurs. « Tu perds des clients et de l’argent si certains restent cinq heures devant leur ordi et prennent juste un café.
Mais il y en a qui vont travailler pendant deux heures, commander un latté et une viennoiserie, et revenir chaque jour. C’est une clientèle fidèle dont on a aussi besoin », explique Simon-Louis Brosseau, propriétaire du café Paquebot sur la rue Mont-Royal.
En rachetant le Café Plume l’année dernière, M. Brosseau a gardé la politique appliquée par son prédécesseur : aucun ordinateur la fin de semaine, excepté à une table de six places face à la fenêtre. Un entre-deux qui lui permet de ne pas fermer boutique tout en retrouvant une ambiance conviviale et un roulement le week-end.
« Les travailleurs et les étudiants sont nos clients réguliers de la semaine. Si j’interdis totalement les ordinateurs ou que je coupe Internet, je fais faillite. »
Les travailleurs et les étudiants sont nos clients réguliers de la semaine. Si j’interdis totalement les ordinateurs ou que je coupe Internet, je fais faillite.
Les propriétaires doivent comprendre que la clientèle a changé avec l’arrivée du numérique, d’après lui. Livres, carnets et journaux ont fait place aux ordinateurs, tablettes et cellulaires. Le nombre de travailleurs indépendants a aussi explosé dans les dernières années.
En 2017, le Québec comptait près de 560 000 travailleurs autonomes, selon l’Institut de la statistique du Québec. Soit plus de 13 % des personnes actives dans la société.
Un détail qui n’a pas échappé à Gabriel Dancause, qui a ouvert en 2015 le GAB café sur le boulevard Saint-Laurent, qu’il présente comme « le premier café pour travailler ».
Le concept est simple : les clients paient à la journée ou au mois pour réserver une place. Ils peuvent utiliser Internet, une prise de recharge, une imprimante, et soit consommer sur place ou apporter leur propre café.
« À la base, c’était pour remplir un besoin que j’avais comme programmeur. Quand tu vas dans un café traditionnel, tu ne te sens pas particulièrement bienvenu avec ton ordi et tes livres », confie le propriétaire.
Constatant que de plus en plus de Québécois cherchaient un endroit agréable pour travailler et sortir de chez eux, M. Dancause a sauté sur l’occasion.
Crew Collectif Café, l’Anticafé ou encore Le 5e : les lieux se définissant entre le café et l’espace de travail partagé se multiplient à Montréal et ailleurs au Québec.
Aux yeux de M. Dancause, ce type de café ne vient pas faire concurrence à ceux déjà bien établis. « On est complémentaires. Je leur envoie les clients qui veulent juste prendre un café, et eux sont débarrassés des étudiants et travailleurs qui monopolisent leurs tables », estime-t-il.
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