Un nouveau procédé permet de tripler la durée de conservation des viandes

Et si les saucisses fraîches pouvaient se garder jusqu’à 100 jours, les délicats fromages cottage ou ricotta tenir le coup jusqu’à un an, et la viande hachée se préserver jusqu’à 30 jours sans perdre un iota de sa fraîcheur ? La gestion de bien des réfrigérateurs abonnés aux aliments flétris et condamnés à la poubelle s’en trouverait sûrement bouleversée.
C’est le pari que font les promoteurs d’une nouvelle technologie récemment testée au Québec qui permet de prolonger, voire tripler la durée de vie de plusieurs aliments frais, cuits ou transformés. Mis au point au Centre de développement bioalimentaire du Québec (CDBQ) de La Pocatière, et soutenu par RECYC-QUÉBEC dans le cadre du Projet 9 destiné à contrer le gaspillage alimentaire, ce processus de conservation par très haute pression hydrostatique fait lentement son entrée sur les tablettes de plusieurs épiceries.
Une redécouverte
Le procédé approuvé par Santé Canada en 2016 consiste à éliminer les bactéries présentes dans les aliments grâce à la mise sous forte pression de produits scellés dans des emballages souples, plongés sous l’eau pendant quelques minutes. L’effet de la pression hydrostatique sur les bactéries a été découvert au Japon à la fin du XIXe siècle, mais ce n’est qu’au tournant des années 1990 que cette technologie a fait son entrée dans l’industrie alimentaire. Les procédés actuels reproduisent en usine une pression équivalant à six fois celle rencontrée dans les abysses les plus profonds des océans.
« Le but ultime, c’est de fragiliser les cellules des bactéries qui finissent par se développer au fil du temps et corrompre les aliments », soutient Stéphane Carrier, directeur général de l’entreprise Natur-l-XTD, la seule au Québec à détenir ces équipements onéreux pour traiter ainsi les aliments.
Des tests réalisés au Centre de développement bioalimentaire du Québec ont permis de constater qu’une fois soumis à ce procédé, les viandes cuites, tout comme les jambons tranchés, la pancetta et le salami, pouvaient se conserver jusqu’à 120 jours sans perdre de leur qualité nutritive, de leur goût ou de leur texture.
Des fromages frais, comme la ricotta ou le fromage cottage, une fois bien scellés, pourraient quant à eux demeurer comestibles jusqu’à près d’un an. « Les jus frais non pasteurisés, qui ont normalement des durées de vie de trois ou quatre jours, peuvent maintenant se conserver jusqu’à 45 à 60 jours », affirme le directeur de l’usine située à Saint-Hyacinthe, qui a déjà conclu des ententes avec plusieurs joueurs importants de l’industrie alimentaire. Un important producteur de jus frais basé à Toronto a même récemment déménagé ses pénates dans la ville maskoutaine pour profiter pleinement de cette nouvelle technologie qui permettra de faciliter la distribution de ses produits au Canada.
Une cure de jouvence
Plusieurs entreprises et fabricants espèrent ainsi prolonger la vie de leurs produits sur les tablettes, changer leurs modes de production et limiter leurs pertes. Selon le CDBQ, dans le seul secteur des viandes cuites, environ 7 à 8 % des produits offerts sur les tablettes sont perdus en magasin. L’organisme RECYC-QUÉBEC, qui a investi 400 000 $ dans le développement de ce procédé, y voit quant à lui l’occasion de lutter contre le gaspillage alimentaire, qui entraîne la perte de 40 % de la totalité des aliments produits au Canada, à un moment où à un autre de leur cheminement jusqu’à l’assiette du consommateur.

« Le développement de ce type de technologies permet de réduire les rejets de viandes fraîches en épicerie et chez les consommateurs », affirme Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente à la performance des opérations chez RECYC-QUÉBEC. Le CDBQ a reçu le mandat de soutenir et d’informer les entreprises qui souhaitent adopter ce procédé novateur, mais aussi d’optimiser le poids des portions de viandes fraîches à emballer pour éviter au maximum le gaspillage alimentaire. Un logo, marqué d’une goutte d’eau bleue, permet aux consommateurs de reconnaître les produits qui ont bénéficié de cette cure de jouvence signée HPP (pour hydroprocédé de protection)
Plus que les viandes
Si le procédé a d’abord été utilisé pour conserver les viandes cuites, dont les pertes sont plus onéreuses, il se prête à de nombreux autres produits frais, notamment les viandes et poissons crus, les pâtes à pain et à pizza fraîches, ainsi que certains fruits et légumes qui évitent ainsi l’oxydation. « L’élan est aux produits frais, notamment aux purées de houmous, d’avocats, mais ce sont des produits qui s’oxydent rapidement », affirme M. Carrier.
Si on a vu récemment se multiplier sur les rayons les sachets de guacamoles et de salsas fraîches, c’est notamment grâce à l’usage de ce procédé par de grands producteurs américains qui se sont installés à proximité des usines de traitement par HPP, situées dans le sud du pays.
Certains fruits et légumes, notamment les légumes racines, pourraient jouir de ce traitement, mais pas les légumes feuillus ou délicats, trop fragiles pour supporter la pression exercée lors de ce procédé. Plusieurs producteurs locaux pourraient profiter de cette nouvelle façon de faire, qui permet d’allonger la durée de vie de leurs produits et de mieux répartir leur production dans l’année.
« Nos clients sont surtout des compagnies de transformation alimentaire du Québec, mais aussi de l’Ontario. Nous recevons un à deux camions par semaine remplis de produits provenant de Gaspésie et des îles de la Madeleine, prêts à remplir les rayons des épiceries. Avec ce procédé, ces producteurs peuvent élargir leurs marchés », soutient Stéphane Carrier.
Un des avantages collatéraux de cette technologie consiste aussi à éliminer les risques associés aux pathogènes dangereux, qui sont à la source de fréquents rappels de produits alimentaires, notamment dans le secteur des viandes, sans avoir recours à la stérilisation ni à l’ajout d’agents de conservation artificiels.
Obstacle psychologique
Reste que ces durées de vie interminables affichées sur certains produits pourraient être drôlement accueillies par les consommateurs. Ceux-ci feront-ils confiance à des saucisses restées sur les tablettes pendant 100 jours ou à du boeuf haché jugé propre à la consommation après un mois ? Psychologiquement, la longévité n’est pas toujours synonyme de fraîcheur pour le commun des mortels. Pour cette raison, plusieurs fabricants préfèrent pour l’instant ne pas indiquer que leurs produits sont promis à une longue conservation, même si c’est le cas. Pour des motifs purement commerciaux, on préfère attendre que l’idée de ces aliments à longue conservation fasse son chemin dans l’esprit des clients.
Nutritifs ?
Selon la nutritionniste Catherine Lefebvre, les aliments ainsi dotés de dates de péremption lointaines s’avèrent intéressants puisque la pression, contrairement à la chaleur ou à la stérilisation, n’altère pas le contenu nutritionnel des aliments. « Si en plus, ça peut faire en sorte de réduire l’ajout d’additifs et d’agents de conservation dans certains aliments, ce serait positif. Car tous les aliments destinés au prêt-à-manger en sont bondés ! » lance-t-elle.
Elle s’inquiète toutefois du recours accru aux emballages plastiques que pourrait entraîner l’adoption à large échelle de ce processus de conservation. « Ce ne serait pas génial sur le plan environnemental de tenter de régler un problème, dit-elle, en en créant un autre. » Enfin, la lutte contre le gaspillage alimentaire ne passe pas que par l’achat de produits spécifiques, croit Catherine Lefebvre, mais par l’adoption de toute une série de gestes et de nouvelles habitudes de gestion du réfrigérateur de tout un chacun.