Du saumon transgénique est maintenant vendu au pays, sans étiquetage

Les Canadiens risquent désormais de trouver, sans même le savoir, du saumon transgénique dans leur assiette, une première dans le monde. Des groupes écologiques et acteurs de l’industrie alimentaire au Québec s’inquiètent et demandent l’étiquetage obligatoire des OGM.
« Le premier animal génétiquement modifié arrive sur le marché, et les consommateurs du Québec et du Canada deviendront, à leur insu, les premiers cobayes », se désole Thibault Rehn, coordonnateur de l’organisme Vigilance OGM, soulignant l’urgence d’adopter des règles en matière d’étiquetage.
Autorisée par le gouvernement canadien en mai 2016 à commercialiser ce poisson transgénique à travers le pays, la compagnie AquaBounty Technologies a vendu récemment ses premiers filets de saumon, « environ cinq tonnes ». L’entreprise en a fait l’annonce par voie de communiqué vendredi, sans pour autant préciser le nom des premiers acheteurs.
Le poisson en question, nommé l’AquAdvantage, est un saumon de l’Atlantique auquel un gène du saumon Chinook a été ajouté dans le but d’accélérer sa croissance. Il peut ainsi atteindre sa taille adulte au bout de 16 à 18 mois, au lieu de 30 mois initialement. Élevé à l’heure actuelle au Panama, il pourrait être produit directement depuis l’Île-du-Prince-Édouard, d’après AquaBounty Technologies.
Bien que les groupes écologiques à travers le monde s’inquiètent des risques pour l’environnement et la santé humaine que pourrait engendrer cet organisme génétiquement modifié (OGM), il reste « aussi sain et nutritif pour les humains et le bétail que le saumon classique », avait tranché l’Agence canadienne des aliments au printemps dernier, à la lumière de plusieurs études scientifiques sur le sujet.
« Les résultats sont rassurants et montrent que le risque pour la santé est minime, mais ça fait juste depuis 1994 qu’on consomme des produits avec des OGM. À long terme, on ne connaît pas les risques », nuance Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques agroalimentaires à l’Université Dalhousie, à Halifax. Estimant que l’ingénierie génétique a déjà fait ses preuves, il croit essentiel de continuer la recherche sur le sujet.
Imposer l’étiquetage
Si l’AquAdvantage a fait sa première apparition au Canada, les États-Unis ont été les premiers à l’autoriser, la Food and Drug Administration ayant donné son approbation en novembre 2015. Le gouvernement Obama a toutefois fait rapidement un pas en arrière en interdisant son importation jusqu’à ce que des normes d’étiquetage pour prévenir les consommateurs soient mises en place.
Thibault Rehn regrette que ni le gouvernement fédéral ni même les gouvernements provinciaux n’aient imité leur voisin du Sud, sachant que 60 pays à travers le monde se sont déjà dotés d’une politique d’étiquetage des OGM.
Au Canada, les compagnies de l’industrie alimentaire peuvent identifier volontairement la présence d’OGM sur leurs étiquettes, mais aucune réglementation ne les oblige à le faire, rappelle M. Charlebois. « Il y a un flou total au Canada sur le plan de la communication du risque, note-t-il. On ne veut pas faire peur aux gens, et la traçabilité des aliments n’est pas toujours évidente non plus. »
Même son de cloche du côté de l’Association des aquaculteurs. « Nous, on ne produit pas de poisson modifié génétiquement, on veut que le consommateur le sache et puisse faire la différence et un choix éclairé. […] C’est son droit de savoir ce qu’il va manger », soutient le président de l’association, Jean Maheu.
Non au poisson transgénique
Dans les mois qui ont suivi l’approbation du gouvernement fédéral à l’arrivée du poisson transgénique, les grandes chaînes alimentaires ont indiqué tour à tour qu’elles ne proposeront pas le saumon sur leurs étalages.
« Nous exigeons de nos fournisseurs du saumon sans OGM, bien que le saumon génétiquement modifié soit légal et autorisé par l’Agence canadienne d’inspection des aliments », peut-on lire sur le site du détaillant IGA. Une directive qui s’applique aux autres bannières du groupe Sobeys : Marché Tradition et Rachelle-Béry.
Metro et Loblaws, qui possède les supermarchés Provigo et Maxi, avaient emboîté le pas.
« Nos clients ne cherchent pas un saumon moins cher, mais un saumon de qualité. Si d’ici 20 ans, on dit que les OGM c’est beau, qu’il n’y a pas de problème, à ce moment-là, je changerai peut-être d’avis », explique quant à lui le propriétaire de la Poissonnerie La Mer, à Montréal.
Le ton ferme et déterminé des détaillants soulève un questionnement : pourquoi refuser le saumon transgénique alors que plusieurs produits avec des OGM se retrouvent déjà dans leurs rayons ? « Parce qu’on parle d’un animal génétiquement modifié qu’on consomme directement. Ce ne sont pas juste des traces d’OGM dans des produits transformés ou des animaux qui, eux, les ont ingérés », explique M. Rehn.
Pourtant, certains ne semblent pas fermés à l’idée d’en vendre. « Ce n’est pas nous qui les avons achetés, mais j’aurais pu les acheter », admet Jean-Roch Thiffault, directeur de Norref, un distributeur de poissons et fruits de mer basé à Montréal. « S’il y a une demande de ce produit dans le marché, on répondra à la demande, mais toujours sous condition de transparence. Ce qui est inscrit sur nos factures, c’est ce qu’on a acheté », ajoute-t-il.
Inquiétudes
De son côté, Jean Maheu craint que l’AquAdvantage se retrouve tout de même dans les épiceries à travers des produits dérivés, tels que les plats préparés ou congelés.
Si l’épicerie Metro affirme que sa volonté de bannir le poisson transgénique tiendra compte des produits de saumon transformés, ce n’est pas le mot d’ordre chez Sobeys. Selon la porte-parole Anne-Hélène Lavoie, aucune directive n’a été donnée pour l’instant quant à l’interdiction des produits de fournisseurs externes qui pourraient contenir du saumon transgénique. « Ça concerne les produits frais essentiellement. »
Aux yeux de M. Rehn, l’entreprise pourrait ainsi connaître un succès auprès des détaillants en proposant des prix cassés. Il note toutefois que les premiers poissons vendus l’ont été au prix du marché canadien.
« C’est un test ; s’ils voient que le saumon modifié est accepté socialement au Canada, d’autres compagnies vont arriver sur le marché », ajoute-t-il. Des compagnies pourraient même être tentées d’aller encore plus loin en modifiant d’autres espèces animales, croit de son côté M. Charlebois.