Les ateliers de vélo communautaires prennent de la vitesse

Par un soir de semaine, ça grouille dans le local de BQAM, atelier de réparation de vélo en libre-service situé au pavillon des sciences de l’UQAM. Des dérailleurs sont nettoyés, des chaînes grippées changées, des freins réglés. Au milieu des postes de travail, des bénévoles s’activent pour répondre aux questions et montrer aux usagers comment se servir des outils.
Deux Gabriel se penchent sur un dérailleur. Le premier est bénévole, le deuxième vient pour la première fois. « Un nettoyage pour tes vitesses, ça ne ferait pas de mal », conseille Gabriel à son homonyme et lui montre les brosses spéciales à utiliser. Après avoir fréquenté l’atelier comme usager, il a reçu la proposition de devenir bénévole. Cela fait deux ans qu’il passe un soir par semaine les mains dans la graisse, dit-il en montrant ses mains noircies.
Nouvelle cuisine
Parti de la côte ouest américaine dans les années 1990, le mouvement des « bike kitchen » a le vent en poupe. On retrouve désormais des ateliers partout en Europe, en Australie et même au Brésil. Au Québec, on en compte une dizaine rien qu’à Montréal, et il en existe aussi à Québec et à Sherbrooke.
Unis par la volonté de rendre le vélo plus accessible, les ateliers et coopératives de mécanique vélo fonctionnent grâce à l’implication de bénévoles. Afin de trouver des locaux, ils sont souvent reliés à des universités ou cégeps. Néanmoins, leurs portes sont ouvertes à tout le monde, parfois moyennant une adhésion annuelle, parfois avec des frais d’utilisation minimaux.

Vélo zéro coût
Pionnier des ateliers vélo, La Voie Libre fête cette année ses 20 ans. Petit local loti dans une cour de l’Université Concordia, l’espace arrive à recevoir 3000 cyclistes par an, grâce à une équipe de 30 bénévoles. La Voie Libre fonctionne avec des frais d’utilisation de 2 $, non obligatoires, ou une adhésion annuelle de 20 $. Avec ces revenus minimaux, l’atelier parvient à financer l’achat d’outils et de matériaux, et arrive même à donner un coup de pouce pour la création de nouveaux ateliers du même genre.
« Il y a un grand besoin pour ce genre de lieux. Si on n’existait pas, il y aurait du monde qui ne ferait probablement pas de vélo », déclare Alain Deschamps, bénévole depuis 10 ans.
Car la motivation principale des visiteurs reste avant tout financière. « C’est des gens qui ont des vélos assez ordinaires, et il y a des shops qui ne veulent même pas entretenir ces vélos-là », renchérit René Pruneau, bénévole chez BQAM. Mais c’est le désir d’apprendre et la passion de comprendre comment les choses fonctionnent qui font revenir les gens dans les ateliers. René Pruneau dit en avoir connu plusieurs qui arrivaient en ne connaissant strictement rien au vélo et qui finissaient par « monter des vélos de A à Z ».
Recycler, réutiliser
Rien ne se perd dans les ateliers de vélo. À La Voie Libre, les usagers sont encouragés à utiliser les pièces usagées, une façon concrète de limiter le gaspillage, mais aussi une voie vers la réduction des coûts. Les pièces usées sont déposées dans des bacs et pourront servir à d’autres. On peut même y laisser son vieux cadre de vélo pour qu’il puisse être recyclé par des organismes spécialisés. Les pièces neuves sont vendues à des prix abordables et la marge sur les pièces neuves permet de remplacer les outils et autres huiles à chaîne, proposées gratuitement.
Fais-le toi-même !
Le but de ces « cuisines pour vélo » est double. Si les ateliers sont des lieux privilégiés pour se familiariser avec la mécanique, ils ne sont pas pour autant des endroits où il suffit d’apporter son vélo et d’attendre qu’il soit réparé. Pas question donc de prétexter son ignorance pour laisser les bénévoles changer votre dérailleur à votre place.
À La Voie Libre, les bénévoles vont jusqu’à montrer une procédure, puis tout défaire, pour laisser l’usager refaire lui-même l’opération. « L’idéal, c’est que le bénévole ne touche jamais au vélo », explique Alain Deschamps.
La motivation principale des bénévoles reste le plaisir d’aider : « Je connais la mécanique vélo et j’aime aider », explique René Pruneau, qui donne du temps à BQAM depuis trois ans. La satisfaction qu’il y trouve, c’est « quand tu aides quelqu’un et qu’il repart avec un grand sourire ». Louis Joseph, étudiant en science politique, renchérit: « Ça me détend de faire de la mécanique. Et j’aime apprendre, ça participe de la démocratisation du vélo. »
1,9 million d’adeptes
Une démocratisation qui va de pair avec la croissance du cyclisme. Vélo Québec estimait en 2015 qu’environ 1,9 million de Québécois utilisent le vélo comme moyen de transport. À Montréal, le nombre de déplacements en vélo a crû de 57 % entre 2008 et 2015. Le vélo est une option de plus en plus adoptée pour se déplacer. Animés par le désir de rendre les gens plus autonomes face à leur moyen de transport, les ateliers ont décidé de faire de l’appropriation de la mécanique leur fer de lance : « Quand tu sais comment réparer quelque chose, tu deviens plus autonome. Tu prends en charge tes déplacements par toi-même », conclut Alain Deschamps. Un moyen de plus de diminuer la dépendance à l’automobile.
Bienvenue aux dames
Éloïse, la seule femme présente dans le local de BQAM, avoue toujours venir accompagnée. « Toute seule, je pense que je ne viendrais pas », confie-t-elle, se disant « un peu intimidée » par le monde majoritairement masculin de la mécanique. Pour inverser la tendance, plusieurs ateliers ont réservé une journée par semaine pour les personnes s’identifiant comme femmes et transsexuelles. Ces journées, prises en charge par des femmes bénévoles, ont comme objectif de créer un espace sécuritaire et sans pression pour prendre en main la mécanique.Quelques adresses
MontréalLa Voie Libre : 1500, boulevard de Maisonneuve Ouest
BQAM : 200, rue Sherbrooke Ouest, local SH-R315
Santrovélo : 111, rue Roy Est
Mile-End Bike Garage : 135, avenue Van Horne, 2e étage
Québec
La Coop Roue-Libre: 2320, rue de l'Université
VéloCentrix : 507, rue des Sables
Sherbrooke
Coop La Déraille : Université de Sherbrooke