Des cadeaux sitôt déballés, sitôt échangés

Le 25 décembre, c’est jour de fête. Mais sous le sapin, c’est le drame : un livre en double, un vêtement trop petit, un jeu compliqué, un accessoire inutile. Déçus de leurs cadeaux de Noël, des Québécois n’hésitent plus à se presser dans les boutiques ou sur Internet pour échanger ou revendre leurs présents indésirables.
Sa bûche de Noël à peine digérée, Philippe a déjà contacté son ami Pascal pour mettre sa carte cadeau de 250 $ du magasin de vêtements American Apparel en vente sur Kijiji.ca. Quelque peu honteux de vendre son cadeau dans le dos de ses parents, Philippe a préféré charger son ami de la transaction. « Je n’en suis pas très fier, c’est sûr, confie-t-il. Je n’aimerais pas que mes parents l’apprennent, ils seraient tristes. Mais je suis tanné d’être déçu. »
Le jeune homme n’est pas le seul à vouloir se débarrasser en cachette de ses cadeaux à peine déballés. Encore tabou, cette pratique gagne pourtant en popularité. Au lendemain de Noël, les petites annonces se multiplient sur les sites Internet tels que Kijiji, Ebay ou Amazon. « Playstation neuve encore dans son emballage », « Gaufrier en double à vendre », « Vend bottes de neige trop grandes »…
Le département des communications de Kijiji.ca constate chaque année « un plus fort achalandage dans les chiffres du trafic non pas pendant les Fêtes, mais après les fêtes ».
Un geste offensant
Aux yeux du professeur au Département de sociologie de l’Université de Montréal Marcel Fournier, vendre ses cadeaux est un geste offensant. « C’est une insulte à la personne qui nous donne un cadeau. On peut être déçu du cadeau choisi, mais ça reste insultant de le vendre », s’offusque-t-il à l’autre bout du fil.
Celui qui a étudié l’oeuvre de l’anthropologue Marcel Mauss sur les rituels d’échange et de don dans les sociétés tribales constate que le cadeau est maintenant considéré davantage pour son aspect économique et matériel que pour sa symbolique. « Le don est un rituel de société, une tradition : on donne, on reçoit et on rend. Lorsqu’on entre dans une boutique, on observe tout, on se questionne sur ce que la personne aimerait recevoir. C’est le principe même de la générosité », souligne-t-il.
Or, selon lui, les individus prennent dorénavant moins le temps de choisir et font leurs achats à la dernière minute, presque par obligation. Cela expliquerait notamment le succès des cartes-cadeaux, qui donnent la liberté à celui qui en reçoit de s’offrir ce qu’il aime vraiment.
Pour Philippe, la carte-cadeau semblait une bonne solution, mais le choix du magasin fait défaut. « American Apparel, ce n’est vraiment pas moi, je ne m’habille jamais là », explique-t-il. Au fil des années, le jeune homme s’est habitué à recevoir des cadeaux « trop imaginatifs » de ses parents. « L’an passé, c’était une friteuse, mais je ne cuisine pas. L’année d’avant, des pantoufles en forme d’animaux antidérapantes ; j’ai passé 15 ans, merci. Il y a eu aussi une théière chinoise, un jeu de tarot, une brosse à dents électrique… et j’en passe », souffle-t-il, exaspéré.
De son côté, le directeur de l’Observatoire de la consommation responsable, Fabien Durif, estime qu’une part grandissante des consommateurs développent doucement mais sûrement une conscience environnementale et se dirigent vers une « consommation mesurée et responsable ». « Les gens réfléchissent à leur consommation, à la durabilité des cadeaux qu’ils font. Est-ce que ça va plaire à la personne ? Est-ce que ça ne va pas être obsolète trop rapidement ? On ne veut pas offrir quelque chose qui sera rapidement jeté ou inutilisé. »
Troquer l’indésirable
Moins à l’aise à l’idée de vendre un cadeau indésirable, certains préfèrent le donner ou l’échanger contre un autre objet. Cette tendance n’a pas échappé aux agences de publicité montréalaises. Camden a récemment créé la plateforme Internet « Le refuge des cadeaux abandonnés », permettant de déposer un cadeau à faire « adopter ».
Lg2 a de son côté conçu une application d’échange de cadeaux entre particuliers. « Sans encourager la surconsommation, on met les gens en contact pour qu’ils s’échangent des cadeaux décevants contre des cadeaux moins décevants », explique le responsable des communications de l’agence, Charles Durivage. Conçu comme l’application de rencontre Tinder, L’échangiste affiche une liste d’objets : « On “swipe” à droite si ça nous plaît, à gauche pour passer au prochain, jusqu’à ce qu’on ait un “match”. »
Bien que marginal, le troc de cadeaux est une façon responsable de penser Noël, d’après le professeur de marketing à l’Université de Sherbrooke Jean Roy. Selon lui, la tradition de Noël, qui conduit souvent à la surconsommation, pourrait éventuellement évoluer. La vitesse à laquelle Uber et Airbnb sont arrivés dans le quotidien des Québécois témoigne de leur ouverture au changement. « Ça s’inscrit clairement dans l’économie du partage. On donne une seconde vie à un objet qui aurait pu dormir des mois dans un placard sans être utilisé. »
C’est une insulte à la personne qui nous donne un cadeau. On peut être déçu du cadeau choisi, mais ça reste insultant de le vendre.