Peut-on encore rêver d’une petite ferme familiale au Québec?

Le rêve d’une petite ferme est bien possible en Colombie-Britannique, en Alberta et à l’Île-du-Prince-Édouard, mais pas au Québec.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le rêve d’une petite ferme est bien possible en Colombie-Britannique, en Alberta et à l’Île-du-Prince-Édouard, mais pas au Québec.
Dans son essai La ferme impossible, Dominic Lamontagne explique pourquoi acquérir un lopin de terre et y exploiter une ferme avec des animaux et un jardin pour gagner sa vie est possible presque partout… sauf au Québec.
 

Dominic Lamontagne caresse le rêve d’avoir une petite ferme familiale, comme celle des jouets de notre enfance, avec des animaux et un jardin, pour faire vivre sa famille et, tant qu’à faire, vendre des quiches faites avec les oeufs de ses poules, le lait de ses chèvres. Un rêve tout simple. Mais impossible au Québec.

Dans son essai La ferme impossible, lancé cette semaine aux éditions Écosociété, l’auteur engagé, aussi fondateur de la conserverie En pleine gueule (anciennement Naked Lunch), tenait à expliquer pourquoi, et comment les petits agriculteurs ont disparu du paysage au Québec, alors qu’en 1950, 75 % des fermes étaient artisanales. Ultimement, Dominic Lamontagne veut que les Québécois retrouvent cette liberté de devenir entrepreneur agricole, d’acquérir un lopin de terre et d’y exploiter une petite ferme pour gagner leur vie.

Pourtant, ce rêve d’une petite ferme est bien possible en Colombie-Britannique, en Alberta et à l’Île-du-Prince-Édouard. Avec Terre-Neuve-et-Labrador, le Québec est la province la moins favorable pour les petits agriculteurs qui envisagent un élevage de quelques animaux de base et vendre les fruits de leur labeur directement au consommateur. « C’est dans les yeux des petits agriculteurs du Vermont que j’ai compris l’horreur de notre situation. Quand je leur dis que ça coûte 500 000 $ en quotas pour avoir 2000 poules ici, ils me disent que jamais, au grand jamais ils se seraient lancés là-dedans. »

Directement de la ferme ?

« Les gens pensent que les oeufs qu’ils achètent au marché Jean-Talon viennent directement de la ferme, parce qu’ils sont emballés dans du papier journal et entourés d’une corde bleue. Mais ces oeufs-là sortent tout droit des postes de classification des producteurs d’oeufs du Québec », explique l’essayiste en indiquant qu’ils sont les mêmes que ceux qu’on trouve au supermarché. En 2012, il a déjà voulu vendre les oeufs de sa propre production dans un marché, en toute légalité, en allant chercher une approbation du MAPAQ qui n’est jamais venue. Las, il a voulu attirer l’attention du ministère en vendant ses oeufs non classés dans un coup d’éclat au marché. « Sais-tu qui s’intéressait le plus à ma démarche ? Les Européens. Ils étaient littéralement outrés de voir que les producteurs indépendants ne pouvaient pas vendre directement leurs oeufs non lavés. Ici, le monde n’est pas au courant de comment ça fonctionne, alors personne ne s’en offusque. »

À l’heure où les consommateurs sont plus curieux que jamais à l’égard de la gastronomie et soucieux de prendre leur alimentation en main, La ferme impossible touche une corde sensible en prônant la nécessité pour les Québécois de se réapproprier les terres agricoles, afin de faire contrepoids au monopole actuel en développant une agriculture véritablement plurielle. L’auteur souhaite que les fermiers recouvrent cette liberté ancestrale de faire le commerce des produits de la ferme.

Pour Dominic Lamontagne, le fait que cinq fois moins d’entrepreneurs agricoles (par rapport aux années 1950) produisent aujourd’hui une quantité cinq fois plus grande d’aliments est une aberration pour le consommateur, qui n’a pas le libre arbitre de s’approvisionner, en toute légalité et directement du producteur, d’oeufs non lavés, de lait cru et de viande abattue à la ferme. Une pratique « insalubre et éminemment dangereuse » selon le MAPAQ. Joel Salatin, agriculteur de l’État de la Virginie et propriétaire de la ferme Polyface, qui signe la préface de La ferme impossible, abat lui-même sa volaille en plein air pour ses clients. Ce dernier considère qu’au contraire, un poulet abattu dans un abattoir industriel contient plus de pathogènes qu’à sa ferme, où la production est plus petite et les intermédiaires moins nombreux (comme vu dans le documentaire Food Inc., où sa pratique artisanale est analysée et comparée avec celle d’un abattoir industriel). Sans compter que la viande achetée sur la ferme est plus abordable en raison des frais de transport épargnés aux fermiers, qui n’ont pas à faire voyager leurs bêtes dans l’un des rares abattoirs répartis sur le territoire du Québec, explique l’auteur.

Quels seraient les avantages de renouer avec la tradition des petites fermes familiales ? Avec comme devise « small is beautiful », Dominic Lamontagne écrit dans son essai qu’« outre les avantages organoleptiques des aliments [qu’offre l’agriculture artisanale], elle procure une sécurité alimentaire accrue à la communauté qu’elle habite puisqu’elle est directement imputable de la salubrité de ses produits ».

« On a besoin d’une définition, d’une protection de ce qu’est un artisan, car ses préoccupations ne sont pas les mêmes. C’est un art de faire, une fierté, un art de vivre », soutient-il en entrevue.

À ses yeux, La ferme impossible est une lettre ouverte destinée à tous ceux qui sont en désaccord avec ce qu’il avance. « Je veux qu’ils me contactent et confrontent mes idées. » Il espère une réplique pour comprendre clairement pourquoi cette ferme rêvée est possible à peu près partout. Mais pas au Québec.

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